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Une réglementation est nécessaire pour empêcher l’industrie de faire de la promotion durant la formation clinique

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec, Le Soleil et Le Devoir

Au Canada et au Québec, les politiques des écoles de médecine en matière de conflits d’intérêts sont insuffisantesLa plupart des Canadiennes et des Canadiens seraient surpris d’apprendre que les étudiants en médecine au Canada et au Québec assistent couramment à des cours donnés par des professeurs qui ont des liens financiers et qui travaillent en partenariat avec des compagnies pharmaceutiques. Il est donc important que les facultés se dotent de politiques régissant les conflits d’intérêts pour garantir aux étudiants une formation objective, fondée sur les meilleures données cliniques disponibles, qui ne soit pas financée par l’industrie et ne donne pas de l’information de nature commerciale. Après tout, ces étudiants deviendront les médecins de demain, et nous voulons qu’ils reçoivent la meilleure formation possible.

Le problème consiste donc à savoir si les politiques existantes en matière de conflits d’intérêts sont inadéquates ou si les facultés de médecine au Canada et au Québec n’appliquent pas les politiques déjà en place.

Dans une étude publiée cette semaine dans PloS One, nous avons examiné les politiques de 17 écoles de médecine canadiennes (de langue française et anglaise) en matière de conflits d’intérêts. Nos conclusions ont révélé un problème manifeste qui devrait tous nous inquiéter. En effet, la majorité des facultés (12 sur 17) n’ont pas de réglementation rigoureuse ou ne disposent pas du tout de politique sur les conflits d’intérêts. Dans quatre écoles, elles sont modérément restrictives, et une seule – l’Université Western – dispose de règlements stricts.

Au Québec, la réglementation en vigueur à l’Université de Sherbrooke est modérément restrictive, ce qui la classe en cinquième position, et l’Université Laval la talonne en arrivant en sixième position. Les politiques de l’Université McGill et de l’Université de Montréal sont en général timides, voire inexistantes, et elles occupent respectivement la 10e et la 14e position.

En d’autres termes, la majeure partie des médecins en formation au Canada et au Québec reçoivent de l’information sur la santé potentiellement subjective et trompeuse.

L’exemple de l’Université de Toronto est éloquent. Entre 2002 et 2006, l’Université proposait un cours sur la prise en charge de la douleur aux étudiants de médecine et d’autres disciplines des sciences de la santé. Cette formation était en partie financée par des subventions offertes par Purdue Pharma LP, le fabricant d’OxyContin. En outre, les étudiants recevaient gratuitement un manuel sur la prise en charge de la douleur dont la publication était soutenue financièrement par Purdue Pharma (qui en détient les droits d’auteur). Le chargé de cours travaillait en partenariat avec Purdue Pharma et n’était pas affilié à l’Université de Toronto.

Dans ce manuel, les avantages et les usages approuvés du médicament étaient exagérés par rapport aux données existant à l’époque. Bien que l’Université ait reconnu le problème à la suite d’une plainte d’un étudiant, elle n’en a pas informé les autres étudiants, qui n’étaient donc pas conscients du manque d’objectivité du contenu du cours et du manuel ainsi que du problème que cela représentait. D’ailleurs, ce contenu a été utilisé dans un cours connexe jusqu’en 2010.

Notre étude a noté que la réglementation faisait particulièrement défaut dans les domaines de la sélection des programmes d’études, la distribution d’échantillons médicaux gratuits, les visites de représentants pharmaceutiques et les présentations dans des conférences au nom des compagnies pharmaceutiques. 

En un mot, des politiques très libérales permettent à l’industrie d’influencer les futurs médecins et leurs choix en matière de prescription, en leur fournissant de l’information sur l’efficacité et l’innocuité de leurs médicaments.

Il a été démontré que les résidents qui avaient reçu des échantillons médicaux gratuits étaient plus susceptibles de prescrire ces médicaments aux patients même si leur prix était plus élevé que celui d’autres médicaments tout aussi efficaces ou d’autres options non pharmaceutiques. Les visites fréquentes des représentants pharmaceutiques influent sur les habitudes de prescription des médecins qui ont tendance à rédiger davantage d’ordonnances pour ces médicaments, quels que soient leur efficacité ou leur coût pour le patient.

Mais l’inquiétude la plus grande vient du fait que les étudiants ne sont pas informés de l’influence des compagnies pharmaceutiques au sein de leur faculté et des conflits d’intérêts qui peuvent en découler. S’ils ne sont pas sensibilisés à ce problème, ils seront mal préparés pour faire face aux conflits d’intérêts qui pourront surgir dans leur pratique médicale ou pour déjouer l’influence de l’industrie sur leur jugement clinique.

Nos conclusions montrent que l’industrie a les moyens d’exercer une influence sur les ressources des écoles de médecine et sur l’information donnée aux étudiants. Sans politique efficace et rigoureuse pour réglementer les interactions entre l’industrie pharmaceutique, les étudiants et les professeurs, les fabricants de médicaments s’invitent dans les facultés et jouent un rôle particulièrement influent dans la formation clinique des futurs médecins.

Si nous voulons les meilleurs médecins au Canada et au Québec, nos facultés doivent réviser et améliorer leurs politiques pour mieux réglementer les conflits d’intérêts entre toutes les parties concernées. Ces politiques doivent s’attaquer au problème des programmes d’études et à la façon dont les relations avec les compagnies pharmaceutiques influent sur l’attitude des étudiants et sur l’information qui leur est donnée. 

Les cours de médecine doivent être donnés par des professeurs de la faculté attitrés. Ceux-ci doivent présenter les meilleures données cliniques disponibles en toute objectivité et sans intervention de l’industrie, pour que les jeunes médecins diplômés puissent proposer à leurs patients les traitements les plus efficaces et les plus sûrs.

Adrienne Shnier est candidate au doctorat dans le cadre du programme sur les politiques et l’équité en matière de santé (Health Policy & Equity program) à l’Université York; elle est également stagiaire à l’Association des patients du Canada et chercheuse au sein du Consortium de recherche en politiques pharmaceutiques (CRPP). Joel Lexchin est conseiller au projet EvidenceNetwork.ca; il enseigne la politique en matière de santé à l’Université York et est médecin urgentiste au Réseau universitaire de santé.

julliet 2013

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