Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Quebec

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AP Photo/FILE

Qu’ont en commun les astronautes et les personnes âgées en situation de fragilité

 

Pendant des décennies, les chercheurs ont étudié les effets d’une activité physique réduite sur les astronautes pendant de longs séjours dans l’espace. Ce qui est surprenant, c’est l’une des utilisations de cette recherche.

Il est important de comprendre que les effets des voyages spatiaux sur le corps peuvent être majeurs pour comprendre ce qui nous arrive ici, sur Terre, lorsque nous vieillissons. Et l’inverse est également vrai : l’étude de la fragilité chez les personnes âgées vieillissantes a beaucoup à offrir aux voyages dans l’espace.

Un partenariat novateur entre l’Agence spatiale canadienne, les Instituts de recherche en santé du Canada  et le Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées examine l’incidence de l’inactivité sur la santé, tant chez les personnes âgées que chez les astronautes. C’est une première mondiale.

Dans les missions spatiales, les astronautes comme Chris Hadfield du Canada peuvent passer des mois dans un environnement sans gravité, en apesanteur. L’un des astronautes russes Valeri Polyakov a passé 438 jours dans l’espace, et même de brefs séjours dans l’espace peuvent avoir des effets importants sur la santé. Étonnamment, la recherche sur cette incidence est souvent effectuée par le paradigme de l’alitement prolongé chez les êtres humains, ici sur Terre.

Flotter dans l’espace semble inoffensif, voire apaisant, mais les effets de l’apesanteur sur la santé sont similaires à ceux observés chez les personnes inactives sur Terre, entraînant un affaiblissement musculaire et osseux rapide. D’autres conséquences de l’apesanteur ressemblent à ce que nous observons chez les personnes âgées atteintes de fragilité : le durcissement des artères, la rétention de liquides, la perte de densité osseuse ou l’ostéoporose, entre autres choses.

Au Canada, le segment de la population qui croît le plus rapidement est celui des personnes âgées de plus de 80 ans, et plus de la moitié sont fragilisées. Par conséquent, une part importante et croissante de nos dépenses en matière de santé et de services sociaux leur est consacrée.

La fragilité se voit à tout âge, même si elle survient le plus souvent chez les personnes âgées, et elle touche les personnes qui ont une santé précaire et qui courent un risque accru de décès. Pour les personnes fragilisées, les maladies, comme les infections mineures ou les blessures, peuvent entraîner une détérioration rapide de la santé.

Le partenariat de recherche vise à trouver les moyens de mieux définir la fragilité, d’ améliorer les résultats de santé et de réduire les effets néfastes de la fragilité chez les personnes âgées.

Le nouveau partenariat s’appuie sur des études antérieures portant sur l’inactivité et aidera à jeter la lumière sur les dangers de l’inactivité et l’alitement qui sont encore très courants chez les patients gravement malades et dans les établissements de soins de longue durée, que ce soit sur les conseils d’un professionnel de santé, en raison de la manière dont sont conçus les établissements ou par manque de compréhension de l’activité du corps humain.

La fragilité attribuable à un séjour dans l’espace présente toutefois des différences notables si l’on fait une comparaison. Bien que les effets de l’alitement soient réversibles chez les jeunes volontaires et les astronautes recevant un traitement intensif, ils peuvent devenir irréversibles chez les personnes âgées qui ont connu de courtes périodes d’alitement et transformer une personne autonome en personne dépendante sur le plan fonctionnel.

D’autres recherches ont porté sur la façon dont les environnements à faible gravité affectent l’apparition de l’arthrose, une maladie courante chez les personnes âgées au Canada. Et à leur retour sur Terre, on constate également que les astronautes montrent souvent des signes d’arthrose. Des recherches ont également été menées sur la santé cardiovasculaire et le vieillissement de la population par l’examen du mode de vie des astronautes. On constate que l’augmentation de la rigidité des artères carotides survient chez les astronautes qui font un séjour de quelques mois dans l’espace, ce qui équivaut aux changements observés sur vingt années de vieillissement.

Fait important, les résultats obtenus grâce à ce partenariat seront partagés à l’échelle internationale avec d’autres chercheurs et agences spatiales afin de permettre une collaboration nécessaire pour résoudre les problèmes complexes posés par le vieillissement et les vols spatiaux.

Même s’il est peu courant d’associer le vieillissement aux voyages dans l’espace, l’exposition des astronautes dans l’espace nous livre beaucoup de renseignements et offre des modèles accélérés pour étudier les effets du vieillissement sur le terrain. Avec près de six décennies de vols habités dans l’espace, les agences spatiales disposent de nombreuses données pour alimenter la recherche en sciences de la vie sur la fragilité.

La mise en commun des connaissances et des ressources peut nous aider à développer des approches novatrices aux problèmes posés par le vieillissement et les vols spatiaux prolongés.

 

John Muscedere est directeur scientifique et directeur général du Réseau canadien des soins aux personnes fragiliséesIl est professeur de médecine de soins intensifs à la Faculté des sciences de la santé de l’Université Queen’s et intensiviste à l’Hôpital général de Kingston. Il agit également comme expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.cabasé à l’Université de Winnipeg.

Octobre 2018


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