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Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Comment un régime d’assurance-médicaments national relancerait l’économie canadienneAlors que le Canada figure parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont le coût par habitant en médicaments d’ordonnance est le plus élevé, un Canadien sur dix est incapable de se procurer des médicaments d’ordonnance pour des raisons financières.

Selon une étude récente commandée par la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières/infirmiers (FCSII), Vers une politique rationnelle d’assurance-médicaments au Canada, il existe deux raisons principales pour lesquelles le coût des médicaments d’ordonnance est si élevé au Canada. Premièrement, notre système est divisé en plusieurs régimes d’assurance-médicaments publics et privés. Dans un tel système, les tentatives pour faire diminuer les coûts se soldent habituellement par un transfert des coûts ailleurs dans le système. Par exemple, bien que les régimes publics d’assurance-médicaments des provinces soient arrivés depuis 2010 à réduire considérablement leurs coûts en baissant le prix des génériques et en négociant des ententes confidentielles avec les sociétés pharmaceutiques, les régimes privés ont quant à eux vu leurs coûts augmenter de façon substantielle puisque les sociétés pharmaceutiques et les pharmaciens ont ajusté leurs prix à la hausse afin de compenser les pertes associées aux régimes publics.

Deuxièmement, selon l’étude de la FCSII, les Canadiens payent des prix artificiellement gonflés pour les médicaments de marque déposée et les médicaments génériques afin de soutenir le secteur pharmaceutique au pays. Cette stratégie n’a cependant pas eu les résultats escomptés, à savoir la création d’investissements et d’emplois. Plusieurs études ont démontré que de payer les médicaments à prix fort ne se traduit pas en une industrie pharmaceutique nationale vigoureuse. Les chiffres seuls en disent long à ce propos : le nombre d’emplois dans le secteur canadien des produits pharmaceutiques de marque est passé de 22 332 en 2003 à 14 990 en 2012.

Or, plutôt que de renoncer à cette stratégie défaillante, le gouvernement fédéral semble privilégier d’augmenter encore les coûts en médicaments en autorisant un prolongement de la durée des brevets dans le cadre d’un accord commercial avec l’Europe. L’hypothèse du gouvernement est que cette mesure entraînera une reprise du secteur pharmaceutique canadien et favorisera ainsi la création d’un plus grand nombre d’emplois au Canada; c’est simplement de la pensée magique puisque les données disent le contraire.

Environ 60 % des Canadiens sont assurés auprès d’un régime d’assurance-médicaments privé fourni par leur employeur. Par conséquent, l’incapacité du Canada à restreindre le coût des médicaments mène à une augmentation des coûts de main-d’œuvre et provoque par le fait même une baisse de la compétitivité des entreprises canadiennes. Le risque de ne plus bénéficier d’une assurance-médicaments freine également la mobilité professionnelle des employés.

Actuellement, les avantages sociaux représentent plus de 10 % du salaire brut, et l’élément le plus coûteux parmi ces avantages reste les médicament. Selon une enquête réalisée en 2012 par le Conference Board of Canada, la moitié des employeurs interrogés ont indiqué que la limitation du coût des avantages sociaux est pour eux un enjeu « très important », et 55 % ont dit estimer que l’assurance-médicaments devrait être au centre des préoccupations de leur prochaine révision stratégique.

Les régimes d’assurance privés sont en outre au Canada grevés par les frais d’administration extrêmement élevés qu’exigent les sociétés d’assurance à but lucratif canadiennes : ces frais représentent 1 dollar sur 6 pour les régimes privés alors qu’ils représentent 1 dollar sur 50 pour les régimes publics. Les primes démesurées que doivent payer les employeurs et les employés canadiens aux compagnies d’assurance ont ainsi pour effet de favoriser le secteur financier au détriment de l’économie réelle. 

Le Canada est le seul pays au monde dont le régime d’assurance-maladie exclut les médicaments d’ordonnances comme s’ils ne faisaient pas partie du système de soins de santé. L’étude de la FCSII démontre cependant que, si le Canada mettait en place pour l’ensemble de sa population un régime universel d’assurance-médicaments sans frais pour les patients, s’ensuivrait non seulement un meilleur accès aux médicaments d’ordonnance pour les Canadiens, mais également des économies éventuelles pouvant s’élever chaque année jusqu’à 11,4 milliards de dollars en raison d’une réduction du coût des médicaments et des frais d’administration. De tels résultats pourraient être atteints si tous les gouvernements et paliers de gouvernement du Canada décidaient d’unir leurs forces pour limiter les coûts plutôt que de travailler les uns contre les autres en cherchant à transférer les coûts ailleurs dans le système.

Ces économies représenteraient non seulement une diminution importante des coûts de la main-d’œuvre pour les employeurs canadiens, mais entraîneraient également une augmentation du revenu disponible net de tous les salariés. Elles auraient ainsi pour effet de relancer l’économie comme s’il s’agissait d’une baisse significative des impôts, tout en offrant un meilleur accès aux soins de santé et en favorisant la mobilité des travailleurs.

Un sondage mené par l’institut EKOS en 2013 indique que 78 % des Canadiens sont en faveur de l’établissement d’un régime public universel d’assurance-médicaments au Canada. Nos décideurs disposent de tous les outils nécessaires pour prendre les devants concernant cet enjeu. Malgré ce qu’en disent les groupes de pression qui dans leur propre intérêt soutiennent que le système actuel est efficace et ne devrait pas être réformé, la mise en place d’un régime d’assurance-médicaments national serait la meilleure chose à faire pour les patients, les employeurs, les employés, les contribuables et l’économie canadienne. 

Marc-André Gagnon est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et professeur adjoint à la School of Public Policy and Administration de l’Université Carleton.

août 2014


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