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Lorsqu’on a passé autant de temps que moi à scruter l’industrie pharmaceutique pour étudier la façon de commercialiser, de présenter et de vendre les maladies et les médicaments aux médecins et aux patients, il n’y a vraiment plus rien de surprenant. On peut finir par se lasser un peu de voir les mêmes vieux stratagèmes de commercialisation être actualisés et rafraîchis dans le but de duper de nouvelles générations de consommateurs et de professionnels. Cependant, cela a au moins le mérite d’être divertissant. À l’instar de la foudre dans un ciel bleu, il arrive à l’occasion qu’une révélation jaillisse, laquelle suscite instantanément encore plus d’incrédulité.

Un éclair de cette nature m’a frappé lorsque j’ai appris que des experts au congrès de l’American Heart Association recommandaient qu’un plus grand nombre d’enfants subissent des tests de dépistage de l’hypercholestérolémie avant la puberté. Et ils semblaient sérieux.

Je me suis assuré que ce n’était pas un poisson d’avril puisque c’est le genre de choses ignobles que disent parfois ces farceurs du domaine médical en croyant ne pas se faire prendre. Comme on pouvait s’y attendre, ces pédiatres ne plaisantaient pas.

Apparemment, la santé des enfants les préoccupe et ils croient que cela vaut la peine de faire subir des tests pour dépister l’hypercholestérolémie chez des enfants de plus en plus jeunes. Cette façon de faire semble étrange puisque l’hypercholestérolémie, il faut sans cesse le rappeler, n’est pas une maladie, mais un « facteur de risque » qui peut entraîner une maladie (notamment un infarctus du myocarde), laquelle frappe les personnes d’âge moyen, voire plus âgées. Un facteur de risque peut compromettre la santé de la même façon que la pauvreté peut amener plus de problèmes de santé comparativement à ce qui se passe chez les gens plus fortunés. Toutefois, la plupart des personnes qui font un infarctus du myocarde présentent un taux de cholestérol normal.

Alors, pourquoi soumettre des enfants à des tests pour dépister une maladie qui ne les frappera pas, si jamais cela se produit, avant les 50, 60 ou 70 prochaines années? Parce que tout simplement nous pouvons le faire.

Lors de ce congrès, on a évoqué comme raison que les statines, des traitements comme le Lipitor, le Zocor ou le Crestor, peuvent être utilisées en toute sécurité chez les enfants. Les experts disent qu’avec l’augmentation des cas d’obésité chez les enfants, la surveillance de leur taux de cholestérol les aiderait à prévenir de futurs problèmes de santé.

Lorsque je me suis enfin imprégné de cette idée pendant un moment, je me suis demandé d’une voix très feutrée : « Sommes-nous tous devenus complètement fous? »

Examinons certains des faits dans ce cas. Nous savons depuis longtemps que la vente de médicaments pour traiter « un futur risque » de maladie se révèle des plus profitables pour l’industrie pharmaceutique, même si les bienfaits pour la santé sont parfois inexistants.

Prescrites pour abaisser le taux de cholestérol, les statines figurent parmi les médicaments sur ordonnance les plus vendus sur la planète. L’industrie pharmaceutique a investi massivement de manière à convaincre les scientifiques médicaux, les groupes de patients et nos médecins prescripteurs de considérer le cholestérol comme un perfide ennemi étranger qu’il faut réduire à tout prix plutôt qu’une substance essentielle à la vie qui ne supporte pas qu’on la soumette à des substances chimiques.

Bien que les médecins prescriront des statines comme il se doit aux hommes chez qui on a diagnostiqué une maladie du cœur, l’efficacité de ces médicaments chez les femmes et les personnes âgées suscite une grande controverse. Qu’en est-il de la réduction du taux de cholestérol chez les enfants? Ces études n’ont pas encore été menées.

Comme pour toute pharmacothérapie, il y a un certain nombre d’effets indésirables et les patients qui prennent des statines présentent de plus hauts taux d’insuffisance rénale, de cataractes et d’atteintes hépatiques comparativement à des cas similaires ayant reçu des placebos. Parmi les personnes traitées aux statines, 20 à 25 pour cent d’entre elles connaissent comme effet le plus courant des douleurs musculaires ou de la faiblesse musculaire. Le message important à retenir, c’est qu’il doit y avoir vraiment une possibilité d’un bienfait avant de commencer à rafistoler les taux de cholestérol du corps.

Alors je pense que si nous devons tous aller de l’avant et boire la limonade des géants pharmaceutiques, pourquoi ne pas franchir un pas de plus?

Pourquoi la profession médicale devrait attendre jusqu’à ce que les enfants atteignent l’âge de 8 ou 9 ans avant de leur faire subir des tests pour dépister l’hypercholestérolémie et leur prescrire de puissantes statines? Tant qu’à y être, pourquoi ne pas procéder à un tel dépistage encore plus tôt et chercher des signes d’hypercholestérolémie pendant la gestation? Les parents pourraient ainsi se préparer à l’arrivée de leur petit bout de chou en s’approvisionnant de préparation pour nourrissons enrichie de Lipitor.

Cela paraît désespéré? Peut-être pas si désespéré que cela puisque l’empire du cholestérol ne ménagera pas ses efforts tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas parvenu à convaincre toute une génération de parents que leurs enfants montrent une prédisposition à la maladie et que ses médicaments pourront les sauver.

Alan Cassels est chercheur en politique sur les médicaments à l’Université de Victoria et l’auteur de Selling Sickness. Il agit également comme expert-conseil à EvidenceNetwork.ca, une source d’information exhaustive et non partisane qui vise à aider les journalistes à couvrir les questions relatives aux politiques en matière de santé au Canada. Son prochain livre, Seeking Sickness, porte sur l’industrie du dépistage médical. 

novembre 2011


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