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THE CANADIAN PRESS/Chris Young

Il y a deux semaines, j’ai participé en Finlande à une réunion d’experts avec des représentants de projets pilotes sur le revenu de base menés en Finlande, aux Pays-Bas, en Inde et en Écosse. Mon rapport sur l’annulation du projet pilote sur le revenu de base de l’Ontario a été reçu avec stupéfaction : le 31 juillet, trois mois après la fin de l’inscription et avant que le premier examen de suivi puisse être mené, l’expérience sur trois ans a été annulée.

Près d’un mois après cette annonce, on n’avait toujours pas informé les participants de la suite des choses pour eux.

Par la suite, ces mêmes représentants ont communiqué avec leurs homologues engagés dans des expériences similaires aux États-Unis, à Barcelone, au Kenya et ailleurs, et ont rédigé une lettre ouverte qu’ils m’ont demandé de remettre au premier ministre Doug Ford et à la ministre Lisa MacLeod. Ils ont soulevé deux préoccupations.

D’abord, ils ont exprimé leur inquiétude pour les 6 000 participants ontariens, dont 4 000 avaient déjà reçu une promesse de revenu de base sur trois ans et ont été laissés dans l’incertitude créée par l’annulation prématurée. Au moment de l’annulation, certains participants recevaient des paiements depuis près d’un an, et d’autres n’avaient participé que pendant trois mois. Qu’adviendra-t-il des personnes qui ont fait confiance à leur gouvernement et ont signé des contrats de bonne foi, des personnes qui se retrouvent désormais dans l’incapacité de payer un bail locatif, un prêt bancaire ou des frais de scolarité?

Le 31 août, un mois après l’annulation, la ministre MacLeod a annoncé que les participants recevraient des paiements jusqu’en mars 2019 « afin qu’ils aient le temps de se retourner ». Il est facile pour les gouvernements et les entreprises de se retirer de contrats signés, mais les gens ordinaires peuvent se retrouver au bord de la faillite, avoir à négocier avec des agences de recouvrement et être dans l’urgence de trouver un endroit pour habiter avant que leur propriétaire actuel ne perde patience.

Alors qu’un revenu de base garanti était destiné à permettre aux gens de prendre des décisions à plus long terme afin de les aider à sortir de la pauvreté, l’annulation du projet de recherche les replongera dans la prise de décision de survie à court terme, une caractéristique de la pauvreté.

Sarath Davala, l’un des chercheurs représentant une expérience menée au Madhya Pradesh en Inde, a été étonné de voir qu’on accorde si peu d’importance à l’éthique de la recherche dans le cadre d’un projet canadien, alors que les représentants du Centre de recherches pour le développement international du Canada (CRDI) consacrent beaucoup de temps et d’argent à organiser des ateliers sur l’éthique pour les chercheurs des pays à faible revenu.

La deuxième préoccupation des participants à la réunion d’experts est le rôle que l’expérience ontarienne a joué à l’échelle internationale. Aucune expérience de recherche n’est parfaite; chacune possède ses forces et ses faiblesses en fonction du contexte dans lequel elle est menée. La série actuelle d’expériences sur le revenu de base est unique, car les forces d’un projet peuvent contrebalancer les faiblesses d’un autre. Ensemble, les données générées par ces expériences très différentes auraient pu fournir des données probantes pour l’élaboration de politiques à l’échelle du monde.

Dans le cas du projet de la Finlande, son point fort repose sur un échantillon représentatif à l’échelle nationale, sélectionné à partir de registres de données, un consentement éclairé n’étant pas exigé des participants. S’ils étaient sélectionnés, les Finlandais n’avaient d’autre choix que de participer. Par contraste, le Canada exigeait un consentement éclairé, ce qui posait un problème aux chercheurs qui devaient ensuite veiller à ce que les participants soient représentatifs de la population en général. Le projet de la Finlande ne vise que les chômeurs de longue durée, tandis que celui de l’Ontario était conçu pour permettre de voir comment les personnes qui ont actuellement un emploi réagiraient à un revenu de base.

La Finlande et deux sites en Ontario utilisaient un modèle d’essai aléatoire contrôlé, très cohérent pour certains types d’analyse, mais qui ne permet pas aux chercheurs d’étudier l’évolution de la société avec l’instauration d’un revenu de base. En comparaison, l’Inde et le Kenya offrent un revenu de base à des villages entiers et le site de Lindsay, en Ontario, a été conçu de manière similaire pour comprendre les effets plus larges.

Ensemble, ces expériences menées dans les pays à revenu élevé, moyen et faible ont retenu l’attention des décideurs du monde entier. Les expériences étaient différentes sur le plan de la conception et offraient différentes structures de paiement, ce qui aurait généré un vaste ensemble de données pour l’élaboration de politiques. Et l’Ontario a annulé son projet.

Au-delà des preuves, la politique devrait être basée sur des facteurs incluant la compassion et la justice; mais les données probantes ont certainement un rôle fondamental à jouer. L’annulation du projet de l’Ontario ne peut plus être renversée, mais nous pouvons peut-être tirer des leçons de ce fiasco et demander à nos gouvernements de rendre des comptes. La politique ne devrait pas être fondée sur l’intuition et l’instinct, mais sur des preuves solides.

Enfin, posons-nous la question à savoir si un sursis de sept mois donné aux personnes qui ont accordé une confiance totale à des chercheurs suffit à soulager notre conscience.

 

Evelyn L. Forget est l’auteur de Basic Income For Canadians: the Path to a Healthier, Wealthier Society for Allà paraître le 30 octobre aux éditions James Lorimer and Co. Elle est économiste de la santé à l’Université du Manitoba et collaboratrice d’EvidenceNetwork.ca de l’Université de Winnipeg.

Octobre 2018


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