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Une version de ce commentaire est parue dans Options Politique et Le Huffington Post Québec  

Récemment, une jeune mère désemparée de la Colombie-Britannique, en proie à la dépression postpartum, s’est enlevé la vie, laissant derrière elle un mari éploré et un bébé garçon. Infirmière diplômée, elle suivait un traitement contre la dépression et l’anxiété. Fait tragique, le système de santé pour lequel elle travaillait n’a pas pu lui venir en aide.

Son mari a publié sur Facebook un message émouvant dans lequel il implore les établissements « Amis des bébés » et les prestataires de soins de réduire la pression exercée sur les nouvelles mamans pour qu’elles allaitent leur nourrisson, car il reste persuadé que celle-ci a contribué à la dépression dont souffrait sa femme. Son cri du cœur a déclenché une avalanche de messages d’appui. Dans toutes les régions du pays, des femmes affectées par la dépression postpartum ont raconté comment les problèmes d’allaitement avaient joué un rôle et des spécialistes ont commenté la situation.

Ce débat revêt une importance certaine, mais il occulte un élément essentiel. Les recherches confirment qu’il existe bel et bien un lien entre l’allaitement et la dépression postpartum, mais pas dans le sens où l’entendent les parents et les experts qui ont débattu du sujet.

Lorsqu’une mère est déprimée, le risque qu’elle cesse d’allaiter son enfant dans les huit semaines suivant l’accouchement est très élevé. Ce qui se produit, toutefois, c’est que la dépression fausse ses perceptions cognitives, ce qui a des répercussions sur sa capacité d’interpréter les signaux que lui envoie son bébé et nuit au succès de l’allaitement. Certaines en viennent à conclure, par exemple, que l’allaitement ne rassasie pas leur bébé, si bien qu’elles cessent de lui donner le sein.

L’un des objectifs du traitement de la dépression postpartum devrait être de fournir un soutien adéquat en matière d’allaitement ou une solution de rechange saine et d’aider la mère à interpréter avec justesse les signaux de son bébé, de façon à ce qu’elle se sente compétente.

Quelles sont les causes de la dépression postpartum? Que faire pour aider les femmes qui en souffrent?

Nous savons que les plus grands facteurs de prédiction du phénomène sont la dépression prénatale ainsi que des antécédents de dépression avant la conception.

Souvent, la dépression postpartum survient lorsque les facteurs de stress se multiplient et que la mère jouit d’un soutien insuffisant. Les problèmes d’allaitement en font parfois partie. Cependant, on sait que de nombreux autres facteurs y contribuent avant même que l’allaitement ne débute. Un accouchement traumatisant qui ne s’est pas déroulé comme prévu peut conduire à la dépression postpartum ou encore, le fait d’élever seule son enfant.

Peu importe le déclencheur en jeu, il existe des ressources et des services voués à la prévention et au traitement du problème — pour empêcher l’impensable de se produire. Il faut veiller à ce que toutes les nouvelles mères y aient accès en temps opportun. L’essentiel, pour commencer, c’est d’admettre la gravité potentielle du phénomène.

Le Groupe d’études canadien sur les soins de santé préventifs et la Preventive Services Task Force des États-Unis recommandent de dépister les symptômes de dépression au cours de la grossesse et après l’accouchement.

Dans toutes les régions du pays, les obstétriciens, sages-femmes, omnipraticiens, infirmières de santé publique et pédiatres devraient faire un dépistage systématique de la dépression durant les périodes pré- et postnatales. Le diagnostic ne devrait pas être tributaire d’un jeu de loterie basé sur le code postal. Ni l’accès aux services déterminé par l’endroit où l’on vit. L’enjeu est trop important.

Nos propres recherches révèlent que les mères sont désireuses de se soumettre au dépistage. Chez un grand nombre de femmes à risque, il est possible de prévenir la dépression grâce à des interventions simples comme le soutien de mère à mère pendant la période postpartum.

Nous avons nous-mêmes mis sur pied un programme d’aide aux mères souffrant de dépression postpartum appelé MOMS Link (Mothers Offering Mentorship & Support), dont l’efficacité a été démontrée. Celui-ci prend la forme d’un service téléphonique peu coûteux et non stigmatisant offert aux nouvelles mamans dans le confort de leur foyer, par des mères expérimentées.

Il est possible également de recourir à la psychothérapie interpersonnelle pour traiter chez elles par téléphone un grand nombre de femmes souffrant de dépression postpartum.

La dépression postpartum est une affaire de famille et nos recherches montrent que les pères sont désireux de s’impliquer et qu’il est important de leur confier un rôle. Nous savons que le père d’une femme en dépression risque lui aussi d’en souffrir. Le dépistage précoce et la prévention peuvent donc s’avérer utiles à toute la famille.

Nous encourageons les femmes, leurs partenaires et leurs proches à consulter leur médecin, leur infirmière de santé publique ou d’autres intervenants pour faire en sorte de dépister les mères à risque pendant la période pré- et postnatale, et les informer de l’éventail des ressources offertes dans leur localité.

Il existe de nombreux traitements efficaces, mais il faut que les hôpitaux, les agences de santé publique et les services sociaux aménagent des programmes pour les mères et leur entourage. Les services téléphoniques sont peut-être l’un des meilleurs moyens à leur disposition.

En définitive, l’idée de vivre au sein d’une population dont les membres ont été élevés par des parents heureux et en bonne santé présente des avantages pour nous tous. Déjà, le fait d’admettre que la dépression postpartum est un problème sérieux aidera grandement à élargir l’éventail de services et de ressources offerts aux familles. Et à désamorcer la bombe à retardement qu’elle peut devenir.

 

Nicole Letourneau est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et auteure de Scientific Parenting : What Science Reveals about Parental Influence. Professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine de l’Université de Calgary, elle est également titulaire de la chaire de la Hôpital pour enfants de l’Alberta en santé mentale des parents-enfants de la même université.

Cindy-Lee Dennis est professeure à la faculté des sciences infirmières Lawrence S. Bloomberg et au département de psychiatrie de la faculté de médecine de l’Université de Toronto, où elle est titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en santé périnatale communautaire. Elle a été nommée au poste de titulaire de la Chaire de recherche en santé des femmes à l’Institut du savoir Li Ka Shing de l’Hôpital St. Michael’s.

Avril 2017

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