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Il est essentiel de tirer des leçons de nos erreurs passées

Une version de ce commentaire est apparu dans Le Huffington Post Québec

L’échec est-il la nouvelle voie de la réussite?

De nos jours, tout porte à croire qu’une réussite n’est pas complète si elle n’est pas précédée d’un échec (ou deux) : la faillite qui donne naissance à une entreprise prospère; l’entrepreneur qui perd tout, puis figure peu après au classement Fortune 500. Le Harvard Business Review et le New York Times Magazine ont consacré des numéros entiers à ce thème. Dans le monde des affaires, on répète souvent aux chefs d’entreprise qu’il es nécessaire de connaître l’échec « rapidement et fréquemment » pour mieux apprendre.

Dans bon nombre de domaines, on sait que, pour innover, il faut accepter – et même applaudir – nos erreurs.

Au Canada, le système de santé est en mal d’innovation positive. À près de 12 % du PIB, il représente un pan énorme de notre économie. C’est aussi un secteur où il faudrait changer les méthodes, mais où l’on admet difficilement que, pour s’améliorer, il faut accepter de faire des erreurs.

Lorsque survient un incident, on pourrait même parler de double échec, bien souvent, puisque s’ajoute à celui‑ci une incapacité de reconnaître notre erreur et d’en tirer des leçons.

Dans un domaine où des vies sont en jeu, l’échec est une éventualité difficile à envisager, on le comprendra. Bien entendu, il nous arrive d’échouer dans la pratique. Même si ce n’est pas une chose qu’il faut encourager, il reste que nous aurions avantage à passer d’une culture où l’on n’admet pas l’échec à une culture où l’on reconnaît qu’il fait partie intégrante du processus quand on cherche à s’améliorer.

Les échecs dans le secteur de soins de santé sont de deux ordres : ceux qui touchent le patient et ceux qui concernent la structure dans son ensemble. Les premiers sont faciles à repérer; ils surviennent lorsqu’une erreur de médication, une infection injustifiée ou un problème de communication causent du tort à une personne. Depuis quelque temps, la façon dont on transmet ce genre d’information au patient s’améliore. Les organisations ont adopté des politiques et des méthodes qui facilitent la communication à cet égard, s’éloignant ainsi, et pour le mieux, d’une culture axée sur le blâme.

Notre système de santé regroupe toutefois des milliers d’organisations, si bien que les leçons tirées au cas par cas ne suffisent pas. Les moyens dont nous disposons pour mettre en commun ces enseignements restent limités. Voilà une situation particulièrement préoccupante dans un secteur d’activité où les environnements et les interactions se ressemblent d’une organisation à l’autre. Ce flacon à l’étiquette ambiguë qui est responsable d’une erreur de médication dans une maison de soins de longue durée peut toujours être disponible à des centaines d’exemplaires ailleurs dans le réseau. Une méthode d’entretien susceptible de provoquer une erreur humaine dans une salle d’opération peut être répétée le même jour dans des dizaines d’autres hôpitaux.

Les échecs de nature systémique sont plus difficiles à déceler.

Dans le réseau public, au lieu de devenir un moteur d’apprentissage, les échecs systémiques finissent trop souvent comme matière à débat sans fin pendant les périodes de questions. On peut concevoir qu’il difficile, quand on a investi dans un nouveau modèle de financement et de prestation des services, de vanter l’échec comme moyen de progresser. Pourtant, si l’on n’accepte pas de parler ouvertement des programmes qui n’ont pas donné les résultats escomptés, on risque de continuer à investir dans de piètres modèles de prestation tout en restreignant nos chances d’atteindre l’excellence à l’échelle du système.

Les patients et le public font partie de la solution.

Nous plaçons tous d’immenses espoirs dans nos services de santé dans des moments de grande vulnérabilité. Les patients et leurs proches veulent faire confiance au système; ils ont besoin de croire, lorsque l’enjeu est considérable, qu’il donnera des résultats. Or les prestataires de soins et les organisations doivent aussi apprendre à faire confiance aux patients et à la population et se convaincre que non seulement ils comprendront la nature de nos erreurs, mais qu’ils nous aideront aussi à nous améliorer.

La meilleure façon de réparer un tort envers une personne victime d’une erreur, c’est de tout mettre en œuvre pour en tirer des leçons et ne pas la répéter.

Les solutions ne se trouvent pas facilement. Certaines pourront être empruntées à d’autres secteurs d’activité; d’autres devront être conçues sur mesure. Nous avons besoin de structures et de processus qui favoriseront l’apprentissage à grande échelle. Les programmes de formation devront préparer les futurs intervenants de santé à une carrière où l’on apprend de ses échecs, plutôt que de les passer sous silence.

Il faut considérer l’échec comme une occasion d’apprentissage, plutôt qu’un risque professionnel.

Dans un secteur aussi vaste et complexe que celui des soins de santé, où l’innovation est indispensable, des erreurs sont à prévoir. Ce qui devrait nous préoccuper, surtout, ce sont les doubles échecs auxquels conduit l’incapacité d’admettre nos erreurs et d’en tirer des leçons pour parvenir à s’améliorer.

Joshua Tepper est médecin de famille à l’Hôpital St. Michael’s et professeur agrégé à l’Université de Toronto. Danielle Martin est médecin de famille et vice-présidente de l’Hôpital Women’s College. Tous deux sont conseillers auprès du site EvidenceNetwork.ca.

Février 2015

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