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THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick

La récente controverse au sujet des projets de Statistique Canada de recueillir un ensemble de données financières détaillées s’est concentrée sur des questions de protection de la vie privée, et on le comprend. Or, le rôle d’un organisme national de statistique d’un pays a toujours été de trouver l’équilibre entre les préoccupations en matière de protection de la vie privée liées à la cueillette de renseignements personnels sensibles, et les nombreux biens publics produits à partir de l’analyse statistique de ces données.

Comme le statisticien en chef l’a dit dans ses dernières entrevues avec les médias, Statistique Canada ne s’intéresse aucunement aux détails de la vie privée ou de l’activité d’un Canadien en particulier. Ce que Statistique Canada cherche à faire est de pouvoir rassembler les données de nombreuses personnes afin de produire des statistiques anonymes et non confidentielles.

Parmi ces statistiques, l’une des plus importantes est le taux d’inflation mensuel. Si vous vous demandez pourquoi votre taux hypothécaire est ce qu’il est, c’est parce que le gouverneur de la Banque du Canada évalue ce que les récents taux d’inflation dévoilent au sujet de l’inflation future probable. La politique monétaire de la Banque, qui a de fortes répercussions sur les taux d’intérêt hypothécaires (et de nombreux autres), dépend donc fortement de ces anticipations à propos du taux d’inflation.

Cependant, mesurer l’inflation est un processus complexe qui nécessite des données très détaillées essentiellement de deux types. L’un est évident : quel est le prix d’un litre d’essence aujourd’hui par rapport à celui du mois dernier ou de l’année dernière? En fait, Statistique Canada suit des milliers de prix chaque mois, du lait aux chaussures, en passant par l’assurance automobile et Netflix.

Or, Netflix et les achats auprès de fournisseurs en ligne, tels qu’Amazon, ont explosé. Il devient très difficile pour Statistique Canada de suivre  en temps réel les prix réellement payés.

Le deuxième élément majeur dans la mesure de l’inflation, et en particulier pour la détermination de l’Indice des prix à la consommation (IPC), est la combinaison de biens et de services qui composent le panier d’achats moyen des Canadiens. Par exemple, quel est le pourcentage de la consommation canadienne consacrée à Netflix par rapport au remplissage du réservoir d’essence?

Jusqu’à présent, les données sur les paniers de consommation des Canadiens ont été obtenues de l’Enquête sur les dépenses des ménages (EDM) de Statistique Canada, réalisée avec un échantillon aléatoire d’environ 20 000 ménages chaque année. Ce sondage a été remanié en 2010 pour utiliser des méthodes plus sophistiquées et réduire le fardeau des répondants.

Cependant, la qualité des données représente toujours un défi; en effet, cette qualité est mise en péril à mesure qu’augmentent les dépenses faites en ligne. Une autre question épineuse concerne d’importantes nouvelles questions politiques, comme la proposition actuelle d’un programme national d’assurance médicaments. Dans cette optique, il est important de savoir combien coutent les médicaments en vente libre par rapport aux médicaments sur ordonnance, ainsi que l’assurance médicaments privée.

Toutefois, ce niveau de détail va bien au-delà de ce que l’Enquête sur les dépenses des ménages actuelle peut fournir.

Heureusement, il existe une autre source de données aux sondages des personnes : les registres détaillés accumulés par les intermédiaires financiers, tels que les banques, pour toutes nos transactions électroniques. Pour Statistique Canada, l’accès à ces données coûterait beaucoup moins cher que l’EDM et fournirait des données plus précises.

La production régulière de données de haute qualité sur le taux d’inflation fait partie des principaux résultats produits par Statistique Canada. C’est un bien public important utilisé par de nombreux acteurs de l’économie, pas uniquement le gouverneur de la Banque du Canada. Pour les personnes âgées qui reçoivent la Sécurité de la vieillesse et les familles qui bénéficient de la nouvelle prestation canadienne pour enfants, ces montants sont indexés en fonction de l’IPC.

Il y a donc un véritable compromis à faire entre la vie privée et le bien public. Et la façon que le Parlement a trouvée pour rendre ce compromis acceptable est inscrite dans la législation, notamment la Loi sur la statistique et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le résultat : Statistique Canada devient le château fort des données au Canada.

En vertu des lois, ni les tribunaux, la GRC, l’Agence du revenu du Canada ni même le SCRS ne peuvent accéder aux données. À l’interne, la sécurité des systèmes informatiques de Statistique Canada est renforcée de toutes sortes de protections, et l’utilisation des données à des fins autres que statistiques est une infraction criminelle.

Compte tenu des graves atteintes à la vie privée dans des entreprises privées telles que Facebook, on comprend bien que les Canadiens puissent s’inquiéter du fait que Statistique Canada cherche à obtenir des données financières détaillées et sensibles. Toutefois, en raison des changements spectaculaires des transactions en ligne, il devient évident que l’organisme doit évoluer avec son temps en utilisant davantage de données électroniques.

Les Canadiens devraient être fiers de disposer d’un bureau de statistique aussi professionnel, rigoureux et de grande qualité.

 

Michael Wolfson est membre du Centre de Droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa et conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca, attaché à l’Université de Winnipeg. Il a présidé une Chaire de recherche du Canada dans le même établissement. Il a auparavant occupé le poste de statisticien adjoint en chef à Statistique Canada.


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