Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Quebec

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THE CANADIAN PRESS/Ryan Remiorz

Près de neuf millions de Canadiens ne savent pas lire assez bien pour exécuter des tâches quotidiennes

 

Au Canada, deux adultes sur cinq – soit près de neuf millions de personnes – ne savent pas lire assez bien pour exécuter des tâches quotidiennes. Les difficultés surgissent tôt en matière de lecture. C’est un fait établi que l’enfant qui ne lit pas bien dès la fin de la première année risque de ne jamais rattraper son retard. De plus, son faible niveau de littératie le désavantagera tout au long de son parcours scolaire – et plus tard dans la vie.

Que faire pour améliorer les choses?

Les recherches menées dans un éventail de disciplines, notamment en éducation, en médecine, en sciences infirmières et en psychologie, tendent à montrer que ce sont d’abord et avant tout les parents qui sont les pédagogues les plus influents auprès de leurs enfants. En effet, les parents et le milieu de vie jouent un rôle considérable en ce qui a trait au tempérament et à la personnalité de l’enfant, à sa santé mentale et physique, à sa réussite scolaire, à son niveau de littératie et à bien d’autres aspects. Toute personne qui a des enfants vous le dira : la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre.

On peut toutefois se demander si nous tirons suffisamment profit de l’influence parentale en matière d’alphabétisation. Les parents canadiens disposent-ils de l’information et des outils dont ils ont besoin pour exercer une influence durable et aussi bénéfique que possible?

Au début des années 1990, l’Association for the Care of Children’s Health a introduit un nouveau paradigme en santé pédiatrique, qui repose sur la notion des soins axés sur la famille. L’idée consiste à intégrer les patients et leur famille dans la démarche thérapeutique. C’est une façon de reconnaître que l’entourage familial reste une constante alors que les prestataires de soins et les systèmes changent régulièrement. On valorise la collaboration avec les proches, de façon à qu’ils comprennent et soutiennent le plan de soins destiné à favoriser la santé globale de l’enfant.

Selon de nombreux observateurs, les soins axés sur la famille ont révolutionné la prise en charge des enfants, amélioré les résultats sur la santé et réduit les coûts tout à la fois.

Il faudrait reproduire ce modèle dans d’autres sphères de la société canadienne, notamment dans notre système d’éducation – et en particulier dans le domaine de la littératie.

La participation des parents à l’alphabétisation des jeunes enfants a une incidence sur la maîtrise éventuelle de la lecture et sur la réussite scolaire. Les programmes de littératie qui misent sur la famille (souvent appelés programmes « de littératie familiale » ou « d’alphabétisation en milieu familial ») visent à outiller les parents en les plaçant au centre de la démarche éducative.

Ces programmes ont comme caractéristique commune d’enseigner aux parents comment les enfants apprennent et de proposer des méthodes et des activités spécifiques propices au développement de l’enfant, qu’on peut adopter à la maison. Bien qu’un nombre important de parents ont un faible niveau de littératie, la plupart d’entre eux ont des habiletés suffisantes pour bien accompagner un enfant en bas âge ou un jeune lecteur, en lui lisant au quotidien des histoires simples, en pointant des lettres dans un livre ou dans l’environnement et en chantant des berceuses.

Des chercheurs de l’Université Stanford ont conçu un projet particulièrement innovateur appelé Ready4K! Ce programme offre aux parents de jeunes enfants un accompagnement d’une durée de huit mois qui fait appel au textage. Trois fois par semaine, les parents reçoivent un message à contenu didactique. L’idée consiste à leur transmettre de l’information éprouvée ainsi que des activités bien précises à faire en compagnie de leur enfant. Les résultats obtenus jusqu’ici sont probants. Ils se traduisent par des progrès statistiquement significatifs en matière d’apprentissage, à la fois pour les parents et les enfants.

C’est aussi une intervention susceptible d’être déployée à grande échelle. On ne peut pas en dire autant de tous les programmes de littératie familiale, dont une majorité est mise sur pied par des écoles et des organismes communautaires qui peinent à les financer et à les maintenir.

Un changement de culture s’impose au sein du personnel enseignant et en milieu scolaire afin de convaincre tous les intervenants que la clé d’une alphabétisation réussie réside dans une approche axée sur la famille. Et pour favoriser la participation pleine et entière des familles à cette démarche, trois mesures devront être mises en place.

Premièrement, il faut enseigner aux parents les habiletés que leur enfant devra acquérir en matière de langage et de lecture, et ce, avant qu’il ne fréquente l’école. Deuxièmement, il faut leur suggérer des activités didactiques précises, comme désigner des lettres sur les emballages à l’épicerie et leur associer un son. Troisièmement, il faut continuer d’informer les parents, une fois leur enfant à l’école, sur les compétences à développer et les activités à faire à la maison pour l’accompagner dans son apprentissage. Pour chacun de ces volets, les pédagogues devront veiller à ce que toutes leurs propositions d’activités s’appuient sur des données probantes.

L’idée d’une démarche éducative axée sur l’enfant, mais au sein du cadre familial, s’impose aujourd’hui en matière d’alphabétisation. Les soins axés sur la famille ont transformé radicalement les soins pédiatriques et amélioré la santé des enfants. De la même manière, si on valorisait davantage le rôle de la famille, on pourrait améliorer du même coup les résultats obtenus en matière d’éducation et d’alphabétisation des enfants.

 

Erin Schryer, Ph. D., est directrice générale de Littératie au primaire, un organisme à but non lucratif du Nouveau-Brunswick. Elle alimente une page Facebook ainsi qu’une chaîne YouTube dans lesquelles elle offre aux parents de jeunes enfants et aux intervenants des conseils éprouvés en matière d’apprentissage du langage et de la lecture. @DrErinSchryer.

 

Nicole Letourneau est experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et professeure aux facultés de sciences infirmières et de médecine à l’Université de Calgary. Elle est titulaire au sein du même établissement de la chaire de la Fondation Norlien/Hôpital pour enfants de l’Alberta en santé mentale des parents-enfants.

Février 2018


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