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Une version de ce commentaire est parue dans Le Devoir et Le Soleil

La question du financement des soins de santé est l’exemple classique d’un débat public dominé par la polarisation des opinions. Les uns, à gauche, comprennent que la santé est la responsabilité de toute une société, les autres, à droite, qu’un financement public des systèmes de santé est une politique rationnelle qui contribue au bon fonctionnement de l’économie.

D’aucuns, à gauche, aiment bien imputer une « crise » de plus au compte du «système», alors qu’à droite, on prédit l’apocalypse, un inéluctable « trou noir » financier sur la base de projections linéaires apparemment incontestables.

Serait-il possible pour deux observateurs attentifs et actifs de la scène publique et du système de santé, au-delà de leurs horizons politiques très différemment colorés, de s’entendre sur un bilan commun ?

Rappelons d’abord que les systèmes de santé canadiens ont été élaborés autour de besoins de soins au milieu du siècle dernier, soins offerts par les médecins dans leurs cabinets ou dans les hôpitaux. C’est encore là le domaine du régime d’assurance maladie public et universel au Canada. Le reste, médicaments, soins à domicile et de longue durée, réadaptation, soins dentaires, etc., est laissé à la discrétion des provinces.

Pas de surprise, la couverture de ces soins est hétérogène et inéquitable. Sur ce terrain laissé aux seuls particuliers ou à l’assurance privée se retrouvent les défis de notre époque. Le tout dans un contexte où le Canada, comme tous les pays riches, investit beaucoup dans les soins de santé (6e de l’OCDE, 200 milliards de dépenses totales, dont 70 % publiques).

La santé à la remorque de l’économie

Le financement du système de santé est assuré par les revenus autonomes de l’administration publique du Québec ; les transferts fédéraux pour la santé et les contributions des usagers aux services publics de santé. Ces dernières représentent 2,6 milliards de dollars en 2011-2012 selon les comptes de la santé du ministère de la Santé et des Services sociaux, soit 7,7 % des dépenses gouvernementales de santé.

Les dépenses publiques de santé sont étroitement liées à l’évolution de l’économie. En période de récession, le produit intérieur brut (PIB) chute, et la part des dépenses de santé dans l’économie augmente, par simple effet de dénominateur. En 1976, les dépenses de santé représentaient 6,5 % du PIB, 6,6 % en 1999, atteignant 7,4 % en périodes de récession. Une remarquable stabilité, au fil d’un quart de siècle. De 1999 à 2007, l’une des plus longues périodes de croissance économique au Canada, elles auront augmenté régulièrement jusqu’à 7,7 % du PIB. Depuis 2009, la tendance s’est brisée. En termes réels, l’accroissement moyen annuel n’a été que de 1,3 % de 2009 à 2011, contre 4,9 % de 2007 à 2009.

Pendant les récessions, les gouvernements augmentent leurs investissements en infrastructures, financés par des emprunts, pour contrer les effets du ralentissement économique. La part des dépenses « hors santé » augmente et la dette publique gonfle par effet des déficits cumulés. Les dépenses de santé s’accroissent en termes réels pendant les récessions et leur croissance diminue, ou devient négative, en sortie de récession. Il faut au gouvernement de deux à trois ans pour ajuster les dépenses de santé à la situation économique. Il y a donc une adaptation très serrée de l’évolution des dépenses de santé à l’état de l’économie.

Pendant deux périodes, de 1990 à 1997 et de 1997 à 2003, les transferts fédéraux, les revenus autonomes du gouvernement du Québec et le service de la dette ont pointé dans la même direction. La première période réunit les pires conditions : durant la récession de 1989-1992, les transferts fédéraux pour la santé sont en chute libre, les revenus propres du gouvernement du Québec stagnent et le service de la dette s’accroît. Les dépenses de santé, et en particulier celles consacrées aux services du régime public et universel, diminuent en termes réels.

Parts dans le PIB

Leurs parts dans le PIB et dans les dépenses gouvernementales diminuent. Puis suit une période « de grâce » de 1997 à 2003 : à la faveur d’une croissance économique continue, les revenus propres du gouvernement croissent aussi malgré les baisses d’impôt, le fédéral rétablit les transferts pour la santé et le service de la dette ne croît plus.

Tous ces facteurs ne vont pas toujours de concert. Par exemple, de 2003 à 2006, les revenus propres du gouvernement ne croissent plus, mais les transferts fédéraux continuent leur ascension. En 2006, l’augmentation des transferts se stabilise, mais les revenus propres prennent le relais.

Le vrai défi du financement des services de santé dans les prochaines années réside dans le jeu des mêmes facteurs. La réaction du gouvernement du Québec à la récession de 2008 l’illustre : avec la récession, les revenus propres ont diminué, les dépenses « hors santé » se sont accrues, de même que le déficit. On voit poindre une augmentation du service de la dette et une diminution du rythme d’accroissement des dépenses de santé.

Des faits et des mythes

En résumé : 1) la croissance des dépenses publiques de santé par rapport au PIB n’est pas hors de contrôle ; 2) elle dépend du jeu entre plusieurs facteurs : l’évolution de l’économie, des revenus propres du gouvernement, du service de la dette et des transferts fédéraux ; 3) une convergence négative de ces facteurs s’annonce en 2017 avec un service de la dette gonflé par les déficits dus à la récession de 2008, la croissance moindre des transferts fédéraux, une économie ralentie, d’où une baisse des revenus propres du gouvernement ; 4) le vieillissement de la population, si souvent pointé du doigt, ne représente que 1 % parmi les vecteurs d’augmentation des dépenses de santé (technologies, médicaments et rémunération) ; et 5) la part des dépenses totales en santé est très élevée au Canada, il est difficile de soutenir l’argument du « sousfinancement ».

Les débats publics portant sur la direction à donner à notre système de santé doivent reposer sur des faits. Il n’y a ni effondrement inéluctable, ni sousfinancement machiavélique. Le défi est ailleurs. Premièrement, dans la capacité d’identifier les périodes historiques difficiles où il faut préserver les acquis, et d’autres caractérisées par la croissance des dépenses de santé qu’il faut apprécier à long terme et cesser de confondre avec l’apocalypse annoncée ; deuxièmement, dans l’adaptation très difficile des pratiques cliniques aux besoins contemporains. Le financement et l’organisation des services doivent être fonction des exigences des pratiques cliniques plutôt que l’inverse. À partir de là, les arguments sur les meilleures voies à suivre peuvent se développer, s’enrichir et se confronter dans l’espace public. Il n’y a rien de plus naturel, ni de plus sain. Ceci nous permet d’espérer un dialogue ouvert entre la « gauche efficace » et la « droite intelligente ».

Les auteurs précisent que toutes leurs données proviennent de l’Institut canadien d’information sur la santé, de Finances Canada et du Système de gestion financière de Statistique Canada. Elles sont en dollars constants (hors inflation).

François Béland est expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et Professeur titulaire au département d’administration de la santé de l’Université de Montréal; Philippe Couillard, Ministre de la Santé et des Services sociaux de 2003 à 2008.

août 2012


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