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L’épigénétique confirme l’incidence du milieu social et physique sur le développement génétique

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec 

Il faut que les politiques sociales rattrapent la scienceUn être vivant ne se résume pas à la somme de ses gènes.

Du petit-déjeuner au coucher, nos choix modifient constamment l’expression de nos gènes et façonnent notre être. Le fait de mener une vie active et utile, d’être entouré, de bien s’alimenter et de pouvoir dormir en sécurité chez soi contribue à réduire le risque de souffrir d’une foule de maladies.

Savoir faire des choix santé est important, certes, mais pouvoir les faire l’est encore davantage. En ce moment même, au Canada et au Québec, un grand nombre de personnes doivent se démener pour y parvenir, pour eux-mêmes et pour leurs familles.

Le regretté Clyde Hertzman, récipiendaire de l’Ordre du Canada pour ses travaux avant-gardistes sur le développement des jeunes enfants, pensait qu’on pouvait prévenir une bonne part des risques durant l’enfance. À l’approche de l’anniversaire de son décès, le 8 février, il convient de rappeler le précieux héritage qu’il nous a laissé, dont la conviction inébranlable qu’il est possible, si l’on prend bien soin des enfants, de transformer les écoles, les quartiers, les milieux de vie et les villes  de transformer le monde.

Chaque enfant possède à la naissance 100 milliards de neurones non encore activés ou connectés, dont le fonctionnement dépend de conditions optimales à certaines époques de la vie.

Pendant que vous lisez ces lignes, des cerveaux sont en train de se construire dans nos communautés.

On peut construire de bons ou de mauvais cerveaux; les expériences vécues durant les mille premiers jours de l’existence ont une incidence énorme. D’où l’importance, dès les premières années, de cajoler son enfant, de lui chanter des comptines, de lui lire des histoires et de le border chaque soir. Tels des blocs de construction, ces expériences continueront de s’empiler et de s’emboîter pendant l’enfance et l’adolescence.

Notre milieu influe sur nos gènes : il les active ou les désactive. L’épigénétique, l’étude des changements génétiques susceptibles d’être hérités par nos enfants et par leurs propres enfants, nous enseigne que les gènes captent l’information découlant de notre exposition à notre environnement. 

Si l’ADN forme le disque dur, l’épigénétique correspond au système d’exploitation.

Pensons à l’hormone du stress, le cortisol, nocif pour le cerveau lorsqu’il est sécrété en trop grande quantité. Le cortisol active ou désactive les gènes par le biais de récepteurs précis, tels que ceux qu’on trouve dans l’hippocampe, centre de la mémoire et de la connaissance. La qualité des soins détermine si un récepteur s’activera ou se désactivera. Lorsqu’il est sécrété trop souvent et qu’aucun adulte n’agit pour tempérer le stress, le cortisol devient toxique.

La pauvreté, la négligence, la violence familiale et la toxicomanie peuvent exposer les enfants à un stress toxique. Ce stress transforme leur organisme et augmente leurs chances de connaître une foule de problèmes plus tard dans la vie : grossesse précoce, maladie du cœur, asthme ou cancer.

Les scientifiques comprennent bien les processus en jeu. Les preuves confirmant que l’expérience façonne la biologie sont indéniables. La prévention doit passer par le milieu familial, les politiques gouvernementales et la société dans son ensemble. Or les chemins menant vers l’Assemblée nationale et la Colline du Parlement, où se prennent les décisions, ne traversent pas souvent les quartiers pauvres. C’est le cas de l’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, où les aliments santé subventionnés sont trop souvent rares et où il est difficile de trouver un logement sécuritaire à un prix abordable.

Montréal affiche les taux de pauvreté les plus élevés parmi les villes canadiennes : en 2001, il atteignait 22,2 % selon les statistiques du recensement. Trois-Rivières et Québec s’en tirent à peine mieux. Dans ces centres, un grand nombre de travailleurs et de travailleuses pauvres n’ont pas accès à un moyen de transport adéquat, à la sécurité, à un logement abordable ou à des aliments santé subventionnés.

Clyde Hertzman a un jour déclaré que les neurosciences avaient rattrapé l’épidémiologie sociale. Malheureusement, nos politiques accusent du retard par rapport à ces sources de données irréfutables qui confirment les liens entre santé et milieu de vie.

Un monde sépare les parents les plus démunis, qui se débattent quotidiennement pour nourrir leurs enfants convenablement et aider leur cerveau à se construire, et les pouvoirs publics, chargés de déterminer combien de blocs on remettra aux parents pour accomplir cette tâche.

Nous investissons trop d’argent dans les soins complexes (pour traiter les gens une fois qu’ils sont tombés malades) et trop peu dans les conditions propices au maintien d’un bon état de santé, qui doivent être en place dès les premières années de l’existence.

Toute société doit offrir aux familles un cadre de vie sécuritaire, favorable et accessible, pour que les parents puissent jouer pleinement leur rôle et les enfants, avoir un bon départ dans la vie.

La Dre Elizabeth Lee Ford-Jones, pédiatre et experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, se spécialise dans le domaine de la pédiatrie sociale. Elle dirige un programme de recherche au Hospital for Sick Children et enseigne au département de pédiatrie de l’Université de Toronto.

Les opinions exprimées ici sont celles d’Elizabeth Lee Ford-Jones et ne reflètent pas nécessairement les positions officielles du Hospital for Sick Children et de l’Université de Toronto.

fevrier 2014


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