Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

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Une prestation d’invalidité fédérale pourrait être modelée sur le supplément de revenu garanti pour aînés

 

Les murs qui se dressent entre les nations font beaucoup jaser. En revanche, on passe pratiquement sous silence les murs qui existent au sein même des nations. Au Canada, c’est le « mur de l’aide sociale », particulièrement difficile à surmonter, qui tient des personnes en marge de la société.

Une récente étude faite pour le Centre de recherche sur les politiques en matière d’invalidité professionnelle (CRPIP) montre comment ce mur limite des centaines de milliers de Canadiens souffrant d’un handicap.

Ces personnes sont déjà confrontées à de sérieux problèmes d’emploi en raison du manque de soutien, de transport accessible et de la compréhension de leurs capacités. Le taux de chômage de ce groupe est deux fois supérieur au taux national. En plus, elles doivent franchir des obstacles pour avoir accès au système de sécurité du revenu qui, ironiquement, est destiné à fournir une assistance.

Les personnes handicapées ne sont pas toujours admissibles à une assurance publique ou privée parce que les critères d’admissibilité exigent un emploi ou que les programmes sont offerts comme avantages dans le cadre d’un emploi. En conséquence, beaucoup vivent de l’aide sociale, le plus insuffisant et archaïque des programmes sociaux du Canada.

Malgré de grands écarts entre les programmes d’aide sociale à travers le pays, tous offrent une aide de base et une assistance spéciale discrétionnaire. Cependant, cette aide couvre à peine les besoins essentiels tels que l’aliment, les vêtements et l’hébergement, et le montant n’est pas indexé en fonction de l’inflation. Une assistance spéciale est offerte pour combler certaines dépenses supplémentaires, comme les soins dentaires, les médicaments sur ordonnance et de l’équipement pour personnes handicapées.

Cette assistance spéciale est un atout important de l’aide sociale, car elle soutient les besoins supplémentaires, mais de nombreux bénéficiaires aux prises avec un handicap se retrouvent sans le savoir confinés à l’aide sociale, car c’est le seul moyen de recevoir des soutiens essentiels.

S’ils ont un emploi rémunéré, les bénéficiaires peuvent se retrouver dans une pire situation financière que s’ils vivent uniquement de l’aide sociale.

D’abord, comme bénéficiaires de l’aide sociale, ils doivent rembourser au gouvernement la plupart de leurs gains d’emploi par un mécanisme connu sous le nom de « récupération fiscale ». Et bien que les règles varient d’une province à une autre, ils remboursent effectivement au gouvernement la plupart de leurs gains.

Deuxièmement, l’impôt sur le revenu et les charges sociales comme les primes d’assurance-emploi et les cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC) viennent réduire davantage le revenu global. Des gains plus élevés se traduisent également par des crédits d’impôt plus faibles, comme le crédit de TPS.

Ensuite, il y a perte de « revenu en nature » comme l’assurance maladie ou l’assurance dentaire supplémentaire. Pour la plupart des bénéficiaires de l’aide sociale, ces multiples facteurs font que le coût d’un emploi est très élevé.

La bonne nouvelle, c’est que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent instaurer de nouvelles conditions pour mettre fin au confinement occasionné par l’aide sociale.

Ottawa pourrait augmenter la prestation fiscale pour revenu gagné (PFRG) qui offre un supplément  pour faibles gains et s’assurer que le travail rémunéré est une option plus attrayante que l’aide sociale. Cette prestation aiderait également les bénéficiaires de l’aide sociale à faire la difficile transition au travail en augmentant leurs salaires généralement bas.

Au Québec, la PFRG est plafonnée à un maximum annuel de 1 671 $ pour une personne célibataire à faible revenu et à 2 608 $ pour un couple à faible revenu sans enfants, et elle prévoit un supplément d’invalidité pour les travailleurs admissibles (les travailleurs à faible revenu avec enfant gagnent un peu moins parce qu’ils ont droit aux prestations pour enfants).

Pour leur part, les gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient étendre leur soutien lié à la santé et à un handicap aux familles de travailleurs à faible revenu, ainsi qu’à ceux qui bénéficient de l’aide sociale. L’aide sociale ne serait donc plus la seule voie pour recevoir des aides techniques et du matériel, des médicaments sur ordonnance et des soins dentaires. Au moins au Québec, l’Office des personnes handicapées du Québec permet l’accès aux biens et aux services essentiels liés au handicap.

Bien que ces changements soient avantageux, ils font perdurer un programme sérieusement imparfait. Une réforme en profondeur consisterait à démanteler l’aide sociale et à la remplacer par une forme de soutien du revenu plus adaptée et honorable. Le Canada a déjà un établi avec succès un précédent en ce sens : l’allocation canadienne pour enfants a en effet remplacé les prestations d’aide sociale versées pour les enfants par un avantage fédéral plus généreux.

Dans le même sens, Ottawa pourrait assumer la responsabilité de la sécurité du revenu des personnes handicapées, qu’elles aient ou non un emploi. Une nouvelle prestation de revenu d’invalidité pourrait être créée sur le modèle du supplément de revenu garanti, ce qui pourrait aider à réduire considérablement le taux de pauvreté des personnes handicapées, comme cela a été le cas pour les personnes âgées.

Le transfert de cette prestation à l’autorité fédérale entraînerait des économies exceptionnelles pour les provinces et les territoires. Avec un accord négocié, cet argent pourrait être investi dans un système cohérent de soutien pour toutes les personnes handicapées avec ou sans emploi.

Quel avantage le fédéral tirerait-il de cet investissement? Une telle prestation permettrait à Ottawa d’atteindre ses deux objectifs de réduction de la pauvreté et de croissance inclusive.

Consolider le système de sécurité du revenu est une étape essentielle pour faire tomber le « mur de l’aide sociale » pour les personnes handicapées. Et les mesures qui permettent d’accéder à un large éventail de soutien pour personnes handicapées, en dehors de l’aide sociale, sont tout aussi importantes. Un handicap ne devrait pas être synonyme de pauvreté.

 

Sherri Torjman est vice-présidente du Caledon Institute of Social Policy et conseillère experte auprès d’EvidenceNetwork.ca

July 2017

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