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Involontairement, plusieurs d’entre nous prennent peut-être des surdoses de médicaments

Une version de ce commentaire est parue dans La Presse et Le Huffington Post Québec

Paracelse, un médecin du XVIe siècle, aurait déjà affirmé : « Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison. » Devant la pléthore de médicaments d’ordonnance maintenant disponibles, cette affirmation sonne sans doute plus juste aujourd’hui qu’il y a 500 ans.

Il y a une chose que vous ignorez probablement : plusieurs d’entre nous consomment peut-être, sans le vouloir, des doses excessives de médicaments.

Les nécessaires limitations du système de réglementation pharmaceutique, conjuguées au désir qu’ont à la fois les professionnels de la santé et les patients d’obtenir un effet immédiat, constituent une partie du problème. Si l’on ajoute à cela la sous-estimation générale de la réponse des patients aux médicaments, ou l’incapacité de prédire cette réponse en raison de son importante variabilité, tous les éléments sont réunis pour entraîner une grande partie de la population vers la surdose involontaire de médicaments.

Avant qu’un médicament soit approuvé, les entreprises pharmaceutiques doivent démontrer que celui-ci a un « effet ». Les importantes contraintes réglementaires et financières dans le processus de découverte et d’approbation des médicaments obligent pour ainsi dire les chercheurs à utiliser aux fins de leurs études des doses susceptibles de générer une réponse chez la plupart des patients. De surcroît, les premières études sont habituellement menées auprès de personnes qui sont plutôt en bonne santé et qui risquent donc moins que d’autres de mal réagir à ces médicaments.

Comme le déclarait en 1991 Lewis Sheiner, le gourou de la pharmacologie clinique aujourd’hui décédé, « la dose étudiée est presque à coup sûr une dose excessive ».

Une fois terminées les études préliminaires, la réglementation exige que la dose initiale du médicament mis en marché corresponde aux doses étudiées. Cette dose est celle que prescriront la plupart des professionnels de la santé, car elle aura été recommandée dans la monographie du produit.

Rarement mène-t-on des études pour déterminer le plus faible dosage efficace et, le cas échéant, il faut attendre très longtemps après la mise en marché du médicament.

Il n’existe pas de conspiration entre l’industrie pharmaceutique, les organismes de réglementation et les professionnels de la santé pour inciter les patients à consommer des doses excessives de médicaments. Il s’agit plutôt d’un problème systémique, soit le résultat d’une série d’événements conduisant invariablement à recommander au bout du compte, pour la majorité des médicaments, un dosage initial trop élevé – une tendance sur laquelle mes collègues et moi avons attiré l’attention dans un article publié l’an dernier par le Canadian Medical Association Journal (janvier 2011).

Plusieurs études, effectuées bien après qu’un médicament a été approuvé, mis en marché et largement prescrit, ont révélé que les doses recommandées à l’origine sont plus élevées que nécessaire chez de nombreux patients. Parmi une quantité d’exemples, mentionnons les études récentes qui ont porté sur le dosage du sildénafil pour le traitement de la dysfonction érectile, celui du bupropion comme aide au sevrage tabagique, de la ranitidine pour réduire les brûlures d’estomac, de la colchicine pour la goutte, de la fluoxétine pour la dépression, du fer pour l’anémie, de nombreux antihypertenseurs, de contraceptifs oraux, des œstrogènes pour les symptômes de la ménopause, ainsi que des stéroïdes par inhalation pour l’asthme.

Dans certains cas, aussi peu que le quart ou le huitième du dosage recommandé à l’origine se révèle sinon aussi efficace, du moins la source d’un bénéfice important, avec moins d’effets secondaires.

L’inverse n’est presque jamais observé : il est très rare que l’on recommande d’augmenter les doses d’un médicament déjà commercialisé.

Dès lors, quelle est la solution?

Nous pourrions, et devrions, hausser le niveau des évaluations des médicaments après leur commercialisation, dans l’optique d’établir la plus faible dose efficace. Quoique très importante, cette mesure demeurera une solution a posteriori et ne réglera qu’une partie du problème.

Dans un avenir prévisible, nous en serons toujours devant le fait que les doses de médicaments recommandées dépasseront souvent les besoins chez un bon nombre de patients.

Commet savoir quelle est la dose qui vous convient le mieux?

À vrai dire, peu importe le système d’approbation en place et le nombre d’études menées avant ou après la commercialisation du médicament qui vous est prescrit, personne ne sera en mesure de prévoir la dose exacte et l’intervalle de dosage qu’il vous faudra personnellement. Vous seul, avec l’aide de votre dispensateur de soins médicaux, pourrez discerner quel sera, pour vous, le bon dosage.

Dès lors que vous êtes sous médication, sachez que s’amorce une démarche visant à établir, par la pratique, quelle sera la dose appropriée dans votre cas.

À moins que vous ne soyez dans un état grave, que votre vie soit immédiatement en danger ou qu’un médicament doive impérativement produire un effet dès la première dose, commencez, sous la supervision d’un dispensateur de soins médicaux, par vous en tenir à une très faible dose (la moitié ou le quart de la dose commercialisée). Ensuite, vous pourrez lentement augmenter le dosage jusqu’à atteindre ce qui sera, pour vous, la « bonne » dose. Cette approche simple, source possible d’économies, ne peut que conduire à une réduction des risques d’effets secondaires, atténuer les problèmes d’interactions médicamenteuses et, surtout, redonner à la personne qui prend le médicament la maîtrise du traitement qu’elle reçoit.

James McCormack est conseiller expert associé au réseau EvidenceNetwork.ca et professeur à la Faculté des sciences pharmaceutiques de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. 

juillet 2012


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