Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Quebéc

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Au Canada, on dénombre 2458 décès liés aux opioïdes dans la dernière année

 

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), le taux d’hospitalisation pour empoisonnement aux opiacés n’a cessé de croître avec environ treize hospitalisations par jour pour surdose d’opioïdes en 2014-2015 au Canada. Ce qui a commencé par une prescription excessive d’opioïdes, tels que l’OxyContin, un analgésique auparavant considéré comme ayant un faible potentiel de toxicomanie, a d’abord conduit au détournement de drogues légales vers le marché illégal, puis à l’expansion spectaculaire de la production illégale de fentanyl.

Pendant que les histoires d’horreur liées à la dépendance et les décès se multiplient, on constate que ce qui était auparavant un problème médical est devenu une véritable crise de santé touchant toute la population.

À ce jour, nous n’avons pas réussi à surmonter cette crise parce que nous continuons à traiter ce problème comme une affaire liée aux drogues illicites. Or, la saisie de cargaisons de fentanyl à leur entrée au Canada a très peu perturbé l’approvisionnement dans la rue. Et bien qu’elles aient une certaine efficacité, les méthodes actuelles de réduction des méfaits sont employées dans un cadre qui place l’illégalité de la drogue au centre de notre compréhension de la question.

Nous fournissons à la police et aux premiers intervenants un antidote aux opioïdes, le Naloxone, et nous leur demandons de l’utiliser pour garder un toxicomane ou un contrevenant en vie afin qu’il puisse, selon toute vraisemblance, être confié au système de justice pénale. Les personnes qui travaillent dans des sites de consommation supervisée espèrent toujours que la police continue à « fermer les yeux » sur les entrées et les sorties des clients qui sont probablement en possession de drogues illicites. Le succès des sites d’utilisation sécuritaire d’Ottawa et de Toronto, qui ouvrent spontanément dans les parcs municipaux, est entièrement dû à la volonté de la police de fermer les yeux sur cette question.

Comme première étape, c’est bien, mais ce n’est pas une solution à long terme.

Envisager nos activités de réduction des méfaits d’un point de vue judiciaire met l’accent sur les populations déjà susceptibles d’interagir avec le système de justice pénale, notamment les groupes pauvres et racialisés (en particulier les membres de communautés autochtones).

Pour réussir à réduire les méfaits, il faudrait que la police renonce à voir comme une « activité criminelle » la possession de stupéfiants dans certains cas et à certains moments pour ne laisser mourir personne.

En effet, nous devons aborder la toxicomanie d’abord comme un problème de santé, et non pas une affaire criminelle, et ensuite comme un problème de santé qui affecte principalement des groupes de la population déjà marginalisés, économiquement ou socialement.

Des décennies  de guerre contre la drogue n’ont pas permis de réduire l’offre et la demande de substances qui, dans une certaine mesure, sont arbitrairement considérées comme illégales. Nous avons rapidement compris cela avec les vaines interdictions de l’alcool et, de plus en plus, nous semblons nous en accommoder avec la marijuana. De plus, nous savons que nous pouvons « dénormaliser » des substances nocives, comme nous l’avons fait avec le tabac.

En 2001, le Portugal a décriminalisé la possession de toute drogue pour usage personnel. La consommation de drogues et la toxicomanie (qui ne sont pas la même chose) sont des questions de santé publique, affirmait-on, et non pas une affaire criminelle. Ils ont ainsi libéré des ressources du côté de la justice pénale pour les réaffecter à des activités criminelles plus importantes. Cette décriminalisation a également permis d’intégrer plus efficacement les méthodes de réduction des méfaits dans les messages préventifs.

Le Portugal connaît en moyenne trois décès par surdose pour un million d’habitants chaque année. La moyenne de l’Union européenne est de 17,3 et celle du Royaume-Uni est de 44,6. Au Canada, on a dénombré 2458 décès liés aux opioïdes au cours de la dernière année.

Aussi inhabituel que cela puisse paraître et même si nous voulons nous en tenir à l’idée que « les drogues sont mauvaises » et qu’il suffit « de dire non », il est temps d’innover. Le système de justice pénale n’est pas un lieu pour traiter la toxicomanie. Il s’agit d’un problème social et économique qui exige plus qu’une série d’interventions de santé publique et de services de traitement basés sur les efforts de sensibilisation à l’échelle locale.

Avec l’ampleur que prend la crise des opioïdes qui atteint la classe moyenne et les jeunes consommateurs de drogues occasionnels, on rate plusieurs cibles.  Les programmes de distribution de Naloxone par les pairs, destinés aux consommateurs de drogues chroniques vivant dans la rue, ont peu de chances d’atteindre les quartiers des banlieues.  Les stratégies visant à réduire les méfaits de la consommation de drogues sans criminaliser les consommateurs doivent d’abord être intégrées dans une réforme plus large de la politique sociale et de la santé.

Nous sommes conscients que cela appelle un changement majeur de politique et une autre façon d’aborder la toxicomanie. Mais comme le fentanyl continue ses méfaits et cause de plus en plus de décès, nous ne pouvons pas continuer à prétendre que cette crise est sur le point d’être résolues, alors que tout indique le contraire. La preuve est solide. Nous devons changer notre façon de voir les choses.

 

Gabriela Novotna et Tom McIntosh sont des conseillers experts auprès du site EvidenceNetwork.ca et chercheurs à l’unité de recherche sur la santé et l’évaluation des populations de la Saskatchewan de l’Université de Regina.

Novembre 2017

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