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Près d’un million d’enfants vivent en situation de pauvreté au Canada

Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil

La pauvreté infantile, un problème canadienDes centaines de milliers d’enfants grandissant au Canada sont privés du nécessaire.

Le plus récent rapport de l’UNICEF sur le bien-être des enfants dans les pays riches classait le Canada en 17e position sur 29 pays évalués, et lui attribuait la 27e position en ce qui concerne l’obésité infantile, la 22e relativement à la mortalité infantile et enfin la 21e pour la pauvreté infantile. Malheureusement, cette situation n’a rien de nouveau. Alors que la Chambre des communes avait pris en 1989 la résolution d’éradiquer la pauvreté infantile, à la fin de 2013 les données de Statistique Canada révélaient que 967 000 enfants vivent toujours dans des ménages à faible revenu au pays. 

Ces chiffres ne représentent pas simplement des enfances difficiles, ils sont également l’indication qu’une énorme quantité d’enfants canadiens grandissent sans jouir du milieu favorable dont ils ont besoin pour devenir des adultes sains. Ils transporteront toute leur vie les marques du stress provoqué par les difficultés vécues dans l’enfance.

En 2009, des collègues et moi avons commencé à donner un nouveau cours à option sur la pédiatrie sociale à l’extérieur de l’enceinte de l’Hôpital pour les enfants malades de Toronto (Hospital for Sick Children) afin que les étudiants en médecine puissent avoir un contact direct avec les réalités que vivent les enfants pauvres au Canada. Dans le cadre de ce cours, les étudiants sont appelés à visiter des foyers de familles à faible revenu et à observer, parfois en compagnie de travailleurs sociaux et d’infirmières spécialisées en soins des enfants en bas âge, les façons troublantes dont le milieu social influence l’état de santé des patients.

Les histoires que les étudiants rapportent du terrain sont profondément déconcertantes, particulièrement dans la mesure où elles ont lieu dans un pays riche comme le Canada. Les étudiants y constatent les répercussions que peuvent avoir un quartier n’offrant aucune activité positive pour les enfants, l’insécurité alimentaire, de longues heures travaillées pour un faible salaire par des parents qui en plus doivent passer de longues périodes dans les transports en commun et la quasi-impossibilité pour plusieurs d’offrir à leurs enfants un accès à des services comme l’optométrie (examen de la vue et verres correcteurs coûteux) et la dentisterie. Les étudiants sont ainsi à même de découvrir à quoi peut ressembler l’exercice du rôle parental dans un contexte qui offre peu d’espoir.

Une étudiante en médecine de l’Université McGill, Maya Harel-Sterling, est allée visiter dans un grand centre urbain une jeune mère canadienne de 18 ans qui a donné naissance à une petite fille fragile dans la salle de bain après avoir caché qu’elle était enceinte. Dans la réflexion que lui a inspirée cette visite, publiée dans la revue Paediatrics and Child Health sous le titre « How Did you Sleep Last Night? and Have you Eaten Today? » (Comment as-tu dormi hier ? As-tu mangé aujourd’hui ?), elle décrit un appartement qui est occupé par quatre autres locataires et qui ne compte aucune pièce où le bébé puisse ramper et jouer. La mère dort sur le sol.

Dans un autre foyer, une grand-mère âgée prend soin des enfants pendant que la mère travaille comme préposée à l’entretien ménager le soir et que le père livre des pizzas. Les enfants passent la plupart de leur temps devant la télévision, une activité qui n’offre aucune stimulation.

De plus en plus de données probantes dans le domaine de l’épidémiologie sociale indiquent que la pauvreté a pour effet de limiter les perspectives d’avenir des enfants, particulièrement chez les bébés qui ne grandissent pas dans un milieu favorable leur offrant du soutien familial et la possibilité d’apprendre et d’être actifs, intellectuellement et physiquement. Nous ne pourrons régler ce problème sans faire en sorte que tous les Canadiens aient accès à des emplois suffisamment payés et à du soutien communautaire.

Dans le numéro d’avril 2014 du Journal of the American Medical Association, Neal Halfon, un chercheur en santé infantile de l’Université de la Californie, écrivait que le niveau de pauvreté des enfants est élevé et que cette tendance n’est pas liée à des fluctuations temporaires du marché, mais à de profondes transformations de la structure de l’économie qu’il appelle « déficits structurels ». 

Les conséquences de ces transformations, notamment le manque d’emplois adéquatement payés et de formation appropriée pour les postes exigeant des compétences précises, font en sorte que les familles à faible revenu ne sont pas en mesure d’offrir à leurs enfants les conditions de vie favorables dont ils ont besoin pour se développer sainement. Il ne s’agit pas que d’un problème américain; le Canada est aux prises avec la même situation. Les enfants vivant dans un milieu défavorisé, en particulier les enfants autochtones ou issus d’une minorité, grandissent en étant plus à risque que les autres de développer des problèmes de santé qui pourraient être évités. Ces problèmes, relevant traditionnellement à la fois de la santé mentale et de la santé physique, sont causés par les conditions de vie pendant l’enfance et finiront par tous nous toucher.

Nous pouvons nous attaquer à ces problèmes, qui forment une triade : les trop grands niveaux de stress (« stress toxique »), qui influencent la production de cortisol et sont précurseurs d’une série de problèmes d’apprentissage et de santé; le manque d’accès à des services de santé complets; les désavantages de nature fondamentale, y compris la pauvreté. Des programmes pilotes ont été mis en place, mais les services doivent être élargis et plus facilement accessibles. 

Par quoi devons-nous commencer ? Ce qui était autrefois considéré comme une « urgence de longue durée », dont les conséquences peuvent se manifester des années plus tard dans la trajectoire de vie sous la forme d’une mauvaise santé et d’une contribution déficiente à la société, devrait aujourd’hui être vu comme une urgence immédiate. Les structures de la société doivent être transformées de manière à ce que la loterie du bonheur et du succès ne fasse pas des gagnants que dans un petit pourcentage des familles.

Dre Elizabeth Lee Ford-Jones est experte-conseil à EvidenceNetwork.ca, pédiatre spécialisée en pédiatrie sociale, chercheuse à l’Hôpital pour les enfants malades de Toronto (Hospital for Sick Children) et professeure du Département de pédiatrie de l’Université de Toronto. 

Les opinions exprimées ci-dessus sont celles de Mme Lee Ford-Jones et ne représentent pas nécessairement la position officielle de l’Hôpital pour les enfants malades de Toronto (Hospital for Sick Children) ni de l’Université de Toronto.


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