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Les apprentissages que le Canada devrait tirer de l’expérience états-unienne et européenne

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Un virage à 180 degrés est en cours au Canada en ce qui a trait aux politiques en matière de santé. Ignorés des grands médias, ces changements passent inaperçus aux yeux du grand public. Les provinces sont en voie de transformer la façon dont elles financent les hôpitaux. Il s’agit d’un coup de barre majeur qui aura un impact sur les soins aux patients et qui pourrait potentiellement améliorer l’accès aux soins hospitaliers.

Par exemple, l’Ontario et la Colombie-Britannique ont annoncé la mise en place d’initiatives de financement des hôpitaux qui s’appuieront en partie sur les services offerts  et les problèmes de santé traités. Le financement des hôpitaux selon les services qu’ils dispensent semble tout à fait logique, mais la division que nous établissons entre le rural et l’urbain, la façon dont nous cantonnons les soins spécialisés dans les grandes villes et les limites que nous imposons quant aux sommes que nous consacrons aux soins hospitaliers ajoutent des écueils au dossier.

Selon l’approche du « budget global » en place dans les provinces, les hôpitaux reçoivent un financement fixe, peu importe la condition des patients traités. La valeur de cette approche réside dans le fait qu’elle prévient l’augmentation des coûts en milieu hospitalier.

Alors, quel est le problème? Et bien il se résume en un mot : l’inertie.

Le modèle traditionnel de financement des hôpitaux pénalise les budgets déficitaires. Les hôpitaux évitent donc d’ajouter des services, ne voulant pas augmenter les coûts. Cela a pour conséquence le refus des hôpitaux de s’attaquer énergiquement au problème des temps d’attente, par crainte d’essuyer un déficit.

Selon les croyances, les soins peuvent être améliorés et les temps d’attente réduits si nous  augmentons les effectifs et le nombre de lits. Cette option serait la plus coûteuse et aurait vite fait de vider les coffres des provinces.

De plus, il n’est pas nécessaire de procéder ainsi.

Des données crédibles indiquent que nous n’utilisons pas les lits d’hôpitaux dont nous disposons actuellement de façon efficace. Un trop grand nombre de patients qui sont en état de recevoir leur congé occupent présentement des lits. Dans certaines régions, plus de 15 pour cent des lits sont occupés par des personnes qui n’ont plus besoin de soins hospitaliers. Cette situation prive le système de santé de milliers de lits « supplémentaires ».

Les changements mis en place au chapitre du financement des hôpitaux en Ontario et en Colombie-Britannique s’attaquent à l’inertie de façon musclée et reposent sur des approches mises en œuvre partout dans le monde. Connu sous le nom de « financement par activité », ce modèle préconise le financement des hôpitaux selon les types de soins qu’ils dispensent et la complexité des troubles traités. Cette approche repose sur la notion d’« un travail égal pour un salaire égal » et incite les hôpitaux à donner aux patients leur congé plus rapidement, puisque l’arrivée de nouveaux patients leur apporte des revenus supplémentaires.

Les parties concernées éprouvent certaines inquiétudes légitimes et craignent que le modèle de financement par activité n’entraîne une situation où les patients recevront leur congé plus rapidement sans être suffisamment guéris.

Les premières évaluations de ce modèle réalisées aux États-Unis ont forgé l’expression « quicker and sicker » [plus vite, plus malade], indiquant que sous le modèle de financement par activité, les patients âgés recevaient leur congé plus rapidement.  C’est au tour du milieu de la santé canadien à éprouver certaines inquiétudes à la suite de la mise en place de politiques de financement par activité en Ontario et en Colombie-Britannique.

Dans un premier temps, les incitatifs financiers qu’offre le financement par activité diminue-t-il le temps de séjour à l’hôpital? Ce ne sont pas tous les patients qui reçoivent leur congé plus rapidement sous ce système mais il existe des données probantes en provenance de nombreux pays confirmant qu’en moyenne, les séjours en hôpital sont de moins longue durée. Il y a donc une augmentation du nombre de patients traités par lit et un plus grand accès aux soins hospitaliers. Une étude menée par un groupe de travail auprès de 28 pays qui sont passés du budget global au financement par activité a constaté une réduction de la durée des séjours hospitaliers moyens de 3,5 pour cent.

Les preuves quant à l’efficacité du modèle de financement par activité sont concordantes et confirment que les systèmes de santé qui adoptent cette approche pour financer les hôpitaux ont tendance à voir une diminution de la durée des séjours en milieu hospitalier, ce qui diminue les temps d’attente pour leurs services.

Voilà pour « plus rapide ». Mais qu’en est-il de « sans miner la santé des patients »?

Le modèle de financement par activité a fait l’objet d’une certaine critique, qui est la suivante. Ce modèle incite les hôpitaux à diminuer la durée des temps d’hospitalisation, ce qui pourrait mettre en péril la sécurité des patients et la qualité des soins dispensés. En d’autres termes, cela pourrait entraîner une situation où les patients reçoivent leur congé avant qu’ils ne soient suffisamment rétablis.

Le Canada vient tout juste de s’initier à ce modèle de financement des hôpitaux et il peut tirer des apprentissages des données probantes relevées dans d’autres pays qui ont intégré cette approche. Notamment, des données probantes relevées aux É.-U. indiquent que les patients qui séjournent dans des hôpitaux financés par activité reçoivent leur congé alors que leur état de santé n’est pas assez stable. Par ailleurs les processus de soins ont été améliorés et les taux de mortalité ne diffèrent pas.

Des études provenant du Royaume-Uni et d’autres pays européens sont plus positives et indiquent qu’elles n’ont relevé aucune augmentation des taux de mortalité liée au modèle de financement par activité. Certaines recherches indiquent même une diminution de la mortalité, et d’autres suggèrent que la mise en place d’un tel modèle incite les hôpitaux à offrir de meilleurs soins pour réduire les complications ou les réadmissions coûteuses.

Donc, bien que certains patients reçoivent leur congé plus rapidement alors que leur état de santé est encore instable, l’ensemble des patients ne semble pas revenir à l’hôpital plus souvent (réadmissions) ou mourir de façon prématurée.

Assurément « plus rapide », mais « sans miner la santé des patients ».

Les hôpitaux dispensent les types de soins les plus coûteux offerts par notre système de santé et sont toujours à la recherche de nouvelles sources de financement. Ce virage, qui vise à améliorer l’accès aux soins, a remporté un succès à l’étranger. Par ailleurs, au Canada, nous devons veiller à la bonne qualité des soins et nous assurer que la priorité d’accès ne soit pas accordée aux patients « rentables ».

D’autres provinces observent attentivement l’expérience en cours en Ontario et en C.-B. Le statu quo règne depuis des décennies. Si l’accès peut être amélioré, la qualité des soins préservée et l’augmentation des coûts maintenue à un taux modéré, d’autres provinces seront sûrement tentées d’emboîter le pas.

Œuvrant à titre d’expert-conseil auprès d’Évidence Network.ca, Jason M. Sutherland est chargé d’enseignement au Centre for Health Services and Policy Research de l’Université de la Colombie-Britannique. Nadya Repin est coordonnatrice de la recherche, également au Centre for Health Services and Policy Research de l’Université de la Colombie-Britannique.

juin 2012


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