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Une version de ce commentaire est parue dans le Soleil et Le Huffington Post Québec

Un professionnel de la santé vous a-t-il déjà dit que vous aviez une pression artérielle élevée, un haut niveau de cholestérol ou encore un diabète de type 2, et que vous deviez faire quelque chose pour améliorer vos « taux »? Si oui, il est probable que les conseils de ce professionnel s’appuyaient sur des recommandations nationales pour la pratique clinique rédigées par des spécialistes de la santé cardiovasculaire.

À première vue, il semble tout à fait raisonnable de suivre les recommandations de spécialistes. Mais pourraient-elles poser problème?

Selon une évaluation récente des recommandations concernant les maladies cardiovasculaires, on constate que seulement 12 % d’entre elles sont fondées sur des données provenant d’essais cliniques randomisés (il s’agit des données cliniques les plus fiables), alors que 54 % reposent uniquement et entièrement sur l’opinion et le consensus de la communauté médicale.

Voici ce que nous savons de façon assez certaine : les données accumulées depuis une trentaine d’années appuient fortement l’idée selon laquelle diminuer une pression artérielle jugée élevée (au-dessus de 160 à 170 mm Hg systolique), particulièrement chez les personnes atteintes de diabète de type 2, réduit les risques d’accidents cardiovasculaires (crises cardiaques et accidents vasculaires cérébraux) dans une proportion que beaucoup, si ce n’est la majorité, considèrent cliniquement importante. On sait également que la prise de statines permet aussi de réduire les risques d’accidents cardiovasculaires, de même que de contrôler les symptômes et d’améliorer les résultats lorsqu’il y a diminution d’un taux très élevé de glycémie.

Toutefois, la preuve d’une diminution des risques de maladies cardiovasculaires se révèle beaucoup moins concluante ou certaine lorsqu’il s’agit de faire baisser rapidement sous les seuils généralement recommandés les taux liés à la pression artérielle (moins de 140/90 mm Hg), au diabète (moins de 7 % d’hémoglobine « AC1 ») et au cholestérol (moins de 2,0 mmol/L de lipoprotéine B).  Il est important de souligner ce fait, car la réduction des risques d’accidents cardiovasculaires constitue l’unique raison pour laquelle nous nous efforçons de faire descendre ces taux.

Aussi est-il regrettable de voir à quel point de nombreux patients et leur famille s’inquiètent et développent même une obsession à propos de ces taux et de leurs seuils, qui sont en définitive relativement arbitraires. Une analyse récente du British Medical Journal a même affirmé que notre obsession pour la réduction de ces taux nuirait aux soins donnés aux patients.

Attention aux chiffres trompeurs

Une des questions les plus délicates entourant les données liées aux maladies du cœur concerne la façon dont est généralement présentée l’amplitude des effets bénéfiques d’un médicament sur la santé cardiovasculaire.

Par exemple, un article de presse pourrait annoncer qu’une étude de cinq ans effectuée sur un médicament a démontré que celui-ci réduit les risques de maladies cardiovasculaires de 25 %. Une telle donnée semble plutôt convaincante, n’est-ce pas?

Or, bien qu’elle puisse être techniquement vraie, elle est en réalité trompeuse.

La raison est la suivante : le résultat normal d’une étude peut mener à la constatation que les patients qui n’utilisent pas le médicament durant une période de cinq ans présentent un risque d’accident cardiovasculaire de 8 %, alors que s’ils l’utilisent, ce risque diminue à 6 %.

D’un point de vue strictement mathématique, il est vrai que six est moins élevé que huit dans une proportion de 25 %. Il s’agit d’une différence « relative ». Cependant, la donnée qui compte vraiment, c’est-à-dire celle qui est en chiffres « absolus », c’est 2 % (huit moins six). Autrement dit, le médicament a eu un effet bénéfique sur la santé cardiovasculaire de 2 % des patients, et il n’a eu aucun effet de ce type pour 98 % d’entre eux. Avec un peu de chance, l’efficacité du médicament s’accroîtra avec une période d’utilisation plus longue, mais les études durent rarement plus de cinq ans.

Dans le cas des statines, une famille de médicaments habituellement prescrits pour diminuer le taux de cholestérol, les données indiquent sur une période de cinq ans une diminution en chiffres absolus des accidents cardiovasculaires d’environ 1 % à 1,5 % chez les patients n’ayant jamais eu de crise cardiaque ou d’accident vasculaire cérébral. Quant aux autres médicaments couramment utilisés pour réduire le taux de cholestérol (l’ezetimibe, la niacine, les fibrates), aucune étude n’a démontré qu’ils contribuaient vraiment à réduire de façon constante les risques d’accidents cardiovasculaires.

Lorsqu’ils sont utilisés par des patients ayant une tension systolique se situant entre 160 et 170 mm Hg, la plupart des médicaments contre la pression artérielle (à l’exception de l’aténolol et de la doxazosine) entraînent une réduction des accidents cardiovasculaires d’environ 2 % à 5 %. Dans le cas de la metformine, on observe une diminution de 5 % à 8 % chez les diabétiques nouvellement diagnostiqués.

Fait à noter, les autres médicaments utilisés pour réduire le taux de glycémie des personnes atteintes du diabète ont selon les études un effet bénéfique minime ou nul sur la santé cardiovasculaire, ou n’ont jamais fait l’objet d’études visant à déterminer s’ils réduisent les risques de maladies cardiovasculaires. Et il ne faut par ailleurs surtout pas oublier le coût et les éventuels effets secondaires de ces médicaments, que les patients doivent prendre en compte. Dans la mesure où la majorité des patients ne tirera aucun avantage de ces médicaments sur le plan de la santé cardiovasculaire, tout effet secondaire devient alors carrément injustifiable.

Prise de décision éclairée

Les recommandations médicales sont curieusement silencieuses quant aux préférences des patients. Un examen récent des cinq principales recommandations canadiennes concernant les maladies cardiovasculaires révèle que seulement 99 des 90 000 mots utilisés dans ces documents renvoient aux valeurs et aux préférences des patients.

Dans de telles circonstances, que peuvent alors faire les patients?

Laissons de côté un instant les taux et concentrons-nous sur ce que les patients peuvent et devraient faire pour eux-mêmes. Les meilleures données accessibles indiquent qu’arrêter de fumer, manger avec modération (le régime alimentaire méditerranéen étant le plus bénéfique selon les études) et faire de l’activité physique sont les trois meilleurs moyens qu’une personne peut emprunter afin de réduire ses risques de maladies cardiovasculaires (même s’ils ne modifient pas ses « taux »).

Lorsqu’un médicament lui est conseillé, chaque patient devrait demander à son médecin s’il a été démontré par des essais cliniques bien conçus que ce médicament permet de réduire les risques de maladies cardiovasculaires, et si c’est le cas, dans quelle proportion (en chiffres absolus). On devrait étalement toujours discuter avec son médecin des effets secondaires possibles de même que du coût de tout médicament.

Au bout du compte, l’objectif est de diminuer les risques de maladies cardiaques, et non de réduire simplement des taux.

En dernier lieu, les professionnels de la santé devraient soutenir la décision d’un patient, quelle qu’elle soit, et éviter de le culpabiliser s’il ne suit pas aveuglément les plus récentes recommandations médicales.

James McCormack œuvre à titre d’expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et est professeur à la faculté des sciences pharmaceutiques de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver.


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