Une version de ce commentaire est parue dans La Presse

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AP Photo/Alastair Grant

Du mouvement #MeToo au mouvement #IRegret

Étrangement, dans ce curieux moment de l’histoire auquel nous assistons, je me trouve privilégiée d’être en vie.

J’ai milité au sein du mouvement féministe durant la majeure partie de ma vie d’adulte, du moins depuis que j’ai pris conscience des déséquilibres de forces en présence dans les sociétés actuelles et passées. Après m’être battue jusque dans les tranchées dans les années 1990 et 2000 pour la juste cause, j’ai baissé les bras et abandonné la défense des femmes pour dénoncer d’autres injustices.

Au cours de ma carrière dans ce mouvement, j’ai consacré beaucoup de temps à faire des recherches sur l’histoiredes femmes et à défendre et recueillir des fonds pour la recherche sur les problèmes de violence et d’abus. Je dois admettre que j’ai jeté l’éponge, car même si j’ai vu des quelques avancées, les changements attendus ne sont pas venus : des changements en profondeur dans les systèmes.

Du moins, jusqu’à ce que s’enclenche le mouvement #MeToo.

Ce mouvement a donné aux féministes aguerries de la génération X comme moi l’espoir d’un avenir meilleur, à la fois pour les femmes et pour les hommes. Et tout converge vers la question du consentement et des déséquilibres de pouvoir.

L’accent mis sur le consentement a poussé les hommes du monde entier à réfléchir et à se poser les questions suivantes : « ai-je déjà insisté auprès d’une femme pour le sexe? Ai-je déjà dit des choses qui ont mis mal à l’aise les femmes de ma vie? Suis-je l’un de ces hommes? »

En fait, je me suis souvent demandé quel serait l’envers du mouvement #MeToo; pourrait-on voir naître le mouvement #IRegret? Ce profond changement de société doit-il être entièrement apporté par celles qui ont été victimes de harcèlement, de violence et d’abus? Ou n’est-il pas temps que les personnes responsables de leur propre comportement reconnaissent leur rôle dans cette affaire?

Je suis convaincue que le consentement, sous toutes ses formes, entraînera de vrais changements.

Quand deux personnes (ou trois ou plus, quelle que soit la mouture) ont une relation sexuelle pour laquelle il y a consentement mutuel, tout va forcément bien pour tout le monde. En cela, la communauté BDSM a beaucoup à nous apprendre. Chaque acte doit être consensuel et les adeptes de ces pratiques n’ont qu’à utiliser un mot ou un symbole convenu pour que l’activité s’arrête. Ce n’est donc pas impossible, il faut seulement de la prévoyance; à eux seuls, les préludes amoureux ne constituent pas une entente.

Lorsque l’accent est mis sur le consentement, il est intéressant de constater à quel point d’autres injustices peuvent facilement faire surface.

Pensez à la récente disparité salariale de la BBC, ou aux actrices Claire Foy,dans la série The Crown, de Netflix, et Michelle Williams dans le film hollywoodien All the Money in the World, qui se sont battues et ont gagné un salaire égal après avoir découvert qu’il en était autrement.

Alors que certains s’inquiètent du fait que des changements ne se produisent que dans le secteur du divertissement, on commence à voir les répercussions de ce mouvement dans d’autres sphères. Peut-être avions-nous besoin d’un point de mire sur lequel braquer les projecteurs et attirer l’attention sur les déséquilibres de pouvoir qui existent ailleurs et partout.

Et pourquoi maintenant?

De nombreuses raisons peuvent expliquer cela, et le simple passage du temps et la maturation du mouvement féministe pèsent également dans la balance. Les femmes atteignent enfin la masse critique dans les rôles décisionnels, et des comportements qui étaient acceptés par le passé ne le sont plus dorénavant. Lorsque des femmes sont aux commandes, que ce soit dans les affaires, le sport, en politique, d’autres femmes gagnent en autonomie, se lèvent et entraînent des hommes dans leur sillage.

En témoignent les puissants mouvements #Repealthe8th et #HometoVote qui ont dominé le récent référendum irlandais sur l’avortement.

Tout cela concourt à créer une certaine confusion chez certains hommes. Les rôles et les règles changent sous leurs yeux. Ce qui était jusqu’à maintenant taillé dans le roc commence à s’effriter. Or, en une génération, les nouvelles règles du consentement seront comprises par tout le monde et les choses reprendront leur cours.

Quel beau rêve, n’est-ce pas? On est loin du dystopique roman de Margaret Atwood, The Handmaid’s Talequi alimente ce mouvement et galvanise une nouvelle génération de femmes.

Je me trouve privilégiée d’avoir vécu assez longtemps pour assister à cette époque. Comme historienne, je suis parfaitement consciente de la façon dont les futurs historiens analyseront ce qui semble être le début d’un tournant historique.

Bienvenue à l’ère du consentement!

 

Lee Tunstall détient un doctorat en histoire de l’Université de Cambridge, elle est chargée de cours à la Werklund School of Education de l’Université de Calgary et elle agit comme experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca.


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