Une version de ce commentaire est parue dans Options Politique et Le Huffington Post Québec

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La détérioration des habiletés cognitives et de l’autonomie fonctionnelle associée à la démence, notamment à la maladie d’Alzheimer, constituent l’une des plus grandes menaces pour la santé et la qualité de vie au cours du vieillissement. Les projections sur le nombre de Canadiens atteints de démence donnent le vertige : plus de 750 000 personnes en souffrent aujourd’hui et leur nombre devrait doubler d’ici 2030; d’ici 2040, le coût des soins atteindra les 293 milliards de dollars.

En septembre dernier, l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS) tenait un forum sur la démence au Canada qui a réuni des chercheurs en sciences sociales, des scientifiques spécialisés dans le domaine biomédical et les services de santé, des professionnels de la santé ainsi que des experts en technologie. On y a fait le point sur les connaissances actuelles en matière de prévention et de traitement de la démence dans le but de proposer des solutions.

Le principal message qui ressort de la rencontre est le suivant : malgré le succès des nombreux projets pilotes menés d’un bout à l’autre du pays, il n’existe aucun mécanisme qui permettrait d’étendre les pratiques exemplaires et les données probantes qui en découlent pour que l’ensemble de la population en profite.

Que faire devant ce constat? Il faut adopter un plan d’action national sur la démence et l’Alzheimer. Nous en aurons besoin bientôt. Voici pourquoi.

Tout d’abord, les médicaments ne sont pas la solution pour l’instant; ils ne risquent pas de le devenir dans un avenir très rapproché, vu les multiples échecs de la recherche pharmaceutique depuis une trentaine d’années, qui se dénombrent à plus de 200.

Ensuite, la prévention est une avenue prometteuse, mais exigeante. L’étude FINGER, publiée récemment, a montré que le counseling diététique, l’exercice, le contrôle de la pression artérielle et l’entraînement cognitif amélioraient sensiblement les fonctions cognitives et le bien-être. Malheureusement, il n’y a pas de moyen évident de faire profiter l’ensemble de la population de ces importantes découvertes.

Par ailleurs, la qualité de vie, la mobilisation et la sécurité de l’environnement sont des considérations essentielles pour les personnes atteintes de démence qui vivent encore chez elles et dans leur milieu de vie. Il existe des solutions intéressantes, dont les aménagements adaptés aux personnes âgées et les aides techniques font partie. Ce sont des aspects au sujet desquels nous pourrions en apprendre beaucoup.

Ailleurs dans le monde, on explore des moyens d’aménager des milieux de vie et des cadres bâtis adaptés à la démence, dans un souci d’améliorer l’accessibilité, la capacité de s’orienter et la participation à la vie sociale. Les personnes souffrant de démence peuvent ainsi vivre chez elles plus longtemps, grâce à des technologies « intelligentes » qui accomplissent des tâches et recueillent des données pouvant être transmises aux proches et aux prestataires de soins. La robotique peut servir à soutenir la capacité cognitive; les voitures futuristes sans conducteur, par exemple, semblent une réalité à portée de main.

En d’autres mots, il n’y aura pas de solution miracle. Il faudra recourir à une approche multidimensionnelle, appuyée par un véritable leadership et des ressources adéquates pour sa mise en œuvre.

Nous devrons d’abord nous attaquer à certains problèmes fondamentaux. Dans l’ensemble des provinces et territoires, l’accès en matière d’évaluation, de diagnostic, de traitement et de continuité des soins constitue un enjeu majeur. Le Québec a mis en place un modèle susceptible de nous inspirer : le médecin de famille assume le rôle de pivot central au sein d’une équipe multidisciplinaire; il ou elle coordonne les soins et appuie les personnes touchées et leurs proches tout au long de l’évolution de la maladie.

La question des soins à domicile exige également une action à l’échelle nationale. Les structures de soutien varient grandement d’une province à l’autre; elles ont en commun d’être limitées. En réalité, les soins que reçoivent les personnes atteintes de démence sont prodigués en grande partie par leurs proches et leurs amis. Le système de santé tend à réagir aux besoins en matière de soins plutôt que de guider ou d’intégrer leur prestation.

Nous pouvons nous attaquer à ce problème par une action coordonnée à l’échelle nationale. Des programmes remarquables ont été mis sur pied dans certaines provinces, ils n’ont pas encore traversé leurs frontières. En Saskatchewan, par exemple, des chercheurs et des cliniciens ont créé, grâce à la télémédecine, une clinique d’intervention « à guichet unique »; elle permet d’offrir davantage de soins à domicile, ce qui facilite les choses pour les personnes vivant en milieu rural — un défi majeur dans notre pays.

Tout plan national doit aussi tenir compte des stades avancés de la maladie. En ce moment, nous dépendons largement des établissements de soins de longue durée. C’est toutefois un secteur qui présente des défis en matière d’uniformité des services, sur le plan de la qualité des soins, de la qualité de vie et de la qualité des soins de fin de vie.

Il n’est plus possible d’espérer de solution simple ou de remède miracle au problème de la démence (comme si cela avait été dans l’ordre du possible). Et on ne peut plus se contenter du statu quo. Notre pays a besoin d’un plan d’action pour soutenir des stratégies de prévention, élaborer des systèmes de prestation des services de santé, refaçonner les milieux de vie et les cadres bâtis et miser sur la technologie. L’idée serait de maintenir le plus longtemps possible dans leur milieu de vie tous les Canadiens atteints de démence, peu importe qui ils sont, et où ils vivent; et lorsque ce n’est plus envisageable de le faire, de leur offrir des soins d’une qualité exemplaire.

Il y a des années que nous savons que le taux de démence augmente et que les coûts seront catastrophiques pour le système de santé. Il nous faut adopter sans tarder un plan d’action stratégique à volets multiples, qui ralliera les gouvernements, le secteur privé et l’ensemble de la population.

Howard Feldman est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca et professeur de neurologie à la Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique.

Titulaire d’une chaire de recherche du Canada, Carole Estabrooks est professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Alberta.

Tous deux ont coprésidé le forum sur le thème de la démence organisé en 2015 par l’Académie canadienne des sciences de la santé.

Decembre 2015


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