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THE CANADIAN PRESS/ Patrick Doyle

Ces jours-ci, on fait beaucoup ombrage au Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques du gouvernement Trudeau. Ce cadre, en effet, représente la principale voie de la conformité du Canada avec l’Accord de Paris sur le climat, exigeant que les provinces établissent un prix sur le carbone ou s’en fassent imposer un par Ottawa.

Les conservateurs de l’opposition se sont élevés contre le plan à la Chambre des communes. Pour sa part, le nouveau premier ministre de l’Ontario, Doug Ford cherche à éliminer le système de plafonnement et d’échange de sa province et le chef du Parti conservateur uni de l’Alberta, Jason Kenney, propose de supprimer la taxe sur le carbone de sa province pendant qu’il envisage de devenir premier ministre en 2019. De plus, de récents sondages révèlent que l’opposition canadienne à la tarification du carbone a augmenté depuis que les détails de la politique ont été précisés.

Ce qui est peut-être le plus troublant, ce sont les actions du président américain Donald Trump, qui s’est retiré de l’Accord de Paris et qui a commencé à démanteler les politiques de réduction des émissions, promulguées par Barack Obama.

Ces offensives menées sur plusieurs fronts politiques soulèvent d’innombrables questions, notamment sur la distance que devrait prendre le Canada par rapport à son principal partenaire bilatéral pour faire bouger la politique nord-américaine. Parmi ces questions, la principale est de savoir si la tarification du carbone réduira la compétitivité des entreprises canadiennes par rapport à celles des États-Unis.

À première vue, le repli de la politique climatique américaine semble soutenir les arguments des opposants au Cadre pancanadien sur les changements climatiques, donnant une raison convaincante pour le Canada de retarder, de réduire ou même de mettre fin à son plan, ce qui nuirait presque assurément à l’atteinte des objectifs de Paris. Or, pendant que Ford, Kenney et d’autres critiques préparent leur offensive, aucun ne propose de plan de rechange crédible.

Par le passé, le Canada a fait marche arrière par rapport aux accords internationaux sur le climat. En fait, son parcours est très proche de celui des États-Unis à cet égard, les deux pays se moquant généralement de la situation mondiale et étant souvent vus comme des retardataires sur le plan du climat : des vantards qui ne livrent pas la marchandise.

C’est une des raisons pour laquelle le Canada ne devrait pas abandonner ses engagements internationaux cette fois-ci :

Premièrement, l’absence d’un programme fédéral américain de tarification du carbone ne signifie pas qu’il n’y a pas de prix au carbone. Douze États continuent de mettre en œuvre leurs propres versions du plafonnement et de l’échange, et ce nombre augmentera probablement après les élections de mi-mandat en novembre. De plus, de nombreuses mesures réglementaires visant à réduire les émissions de carbone tant à l’échelle des États qu’à celle fédérale demeurent et imposent des coûts. Cela met effectivement un prix sur le carbone, bien que ce prix soit implicite et probablement beaucoup plus élevé que si une taxe du carbone ou un système de plafonnement et d’échange efficace étaient en place.

Deuxièmement, rien ne montre que les États-Unis sont sur la voie d’une relance vigoureuse du secteur du charbon. En fait, les émissions américaines ont diminué de 12 pour cent entre 2005 et 2015, un rythme de réduction supérieur à celui du Canada. Et les émissions américaines du secteur de l’électricité ont diminué encore plus rapidement. Bien que les politiques fédérales et étatiques aient joué un rôle, cette transition est également alimentée par l’utilisation croissante du gaz naturel comme solution de rechange au charbon, à l’ère du schiste, et par la forte croissance de l’énergie éolienne dans des États comme le Texas et l’Oklahoma. Malgré la rhétorique du président Trump sur la reprise de la production de charbon, plus de vingt-cinq usines ont fermé en 2017, et d’autres sont à venir cette année.

Troisièmement, il y a des limites considérables à ce qu’un président peut accomplir au chapitre du climat, et Obama comme Trump l’ont compris. Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris n’entre en vigueur que quelques mois avant la fin du mandat actuel de Trump et la situation pourrait évoluer avec l’élection de son successeur.

Par ailleurs, chaque secteur de l’économie comporte différents aspects. Dans le secteur de l’électricité, la disparition du Plan d’énergie propre des États-Unis aura des effets limités sur la croissance continue des énergies renouvelables et du gaz. Dans les transports, Trump a présumé de ses chances et fait face à la résistance du secteur et de l’État face aux menaces de réduire le pouvoir de la Californie à établir des normes plus strictes. Dans le secteur du méthane, toutefois, les revirements fédéraux américains ont des conséquences menaçant l’accord de réduction de 2016 de l’Amérique du Nord.

Enfin, le Canada doit se rappeler que le réchauffement climatique est un problème multilatéral et pas seulement bilatéral. Dans le processus de Paris, les États-Unis font cavalier seul à l’échelle mondiale et s’éloignent de leurs alliés asiatiques et européens de plus en plus méfiants.

Le Canada s’est maintes fois tenu debout sur des questions internationales, sans s’aligner sur la politique étrangère américaine. Pensons à Lester Pearson qui a défié Lyndon Johnson pendant la guerre du Vietnam ou à Jean Chrétien qui a choisi de ne pas emboîter le pas à George W. Bush lors de la deuxième guerre en Irak. Maintenir une politique nationale crédible de tarification du carbone sera le prochain défi.

 

Brendan Boyd est professeur adjoint à l’Université MacEwan. Barry Rabe est professeur à la Ford School of Public Policy de l’Université du Michigan. Tous deux agissent comme conseillers experts auprès d’EvidenceNetwork.ca, attaché à l’Université de Winnipeg.


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