Une version de ce commentaire est parue dans Le Droit, Le Huffington Post Québec et Le Soleil

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Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a récemment publié un long document de travail, attendu avec inquiétude et reçu avec beaucoup d’émois dans certains secteurs. Le document proposait l’élimination d’un certain nombre d’échappatoires permettant à des contribuables bien nantis d’utiliser des sociétés privées pour réduire leurs impôts (sociétés privées sous contrôle canadien ou SPCC), moyens auxquels n’ont pas accès la plupart des Canadiens dont les revenus proviennent de chèques de paye ou d’un travail indépendant.

Ces propositions répondraient à une promesse de la campagne libérale visant à remédier à des utilisations abusives de certaines dispositions mystérieuses de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada. En guise de réponse, un fiscaliste a déclaré dans un bulletin d’information populaire que le ministre des Finances Bill Morneau venait d’annoncer un plan du gouvernement Trudeau visant à mettre fin à la planification fiscale telle que nous la connaissons. Le ministre a donné 75 jours au public pour réagir.

Jusqu’à présent, les commentaires sont assez généraux. On a même laissé entendre que ces dispositions nuiraient beaucoup plus à la classe moyenne qu’aux riches. Ceci est évidemment faux, comme le montre une étude que j’ai publiée avec mes collègues l’année dernière. Pour les contribuables qui se situaient dans les 50 pour cent de la tranche inférieure de revenus en 2011, c’est-à-dire ceux dont le revenu était inférieur à 51 600 $, moins de 10 pour cent avaient une participation non négligeable dans une société privée. En contrepartie, dans le cas des contribuables qui se trouvaient dans le 1 pour cent de la tranche supérieure, avec un revenu de plus de 163 300 $, plus de 50 pour cent avaient une participation importante dans une entreprise privée, et pour ceux qui se trouvaient dans la pointe de 0,01 pour cent avec un revenu de plus de 2,3 millions de dollars, leur nombre s’élevait à près de 80 pour cent.

En outre, comme je l’ai montré dans une étude publiée juste avant les élections de 2015 et citée dans les débats entre Justin Trudeau (alors candidat) et le premier ministre Stephen Harper, les gouvernements fédéral et provinciaux perdraient au moins un demi-milliard de dollars chaque année en recettes fiscales par le fractionnement du revenu au moyen de ces sociétés privées.

Parmi les personnes susceptibles d’être affectées par les propositions du ministre, on retrouve des médecins ayant un revenu élevé, et certains ont même menacé de fuir le pays si ces échappatoires étaient éliminées.

Avant l’adoption du budget de l’Ontario de 2005, les conjoints de médecins ne pouvaient pas être actionnaires d’une société privée créée dans le but de recevoir le revenu du médecin. Or, dans le cadre de négociations sur les honoraires à cette période, le gouvernement de l’Ontario a modifié de façon très obscure sa loi sur les entreprises pour permettre aux conjoints de devenir actionnaires. Ce changement était manifestement une façon détournée d’augmenter les revenus des médecins et de leurs familles pour que cela passe inaperçu. Et à l’insu du public, le nombre de sociétés privées de médecins en Ontario, qui avait progressé lentement jusqu’à 2004 pour

s’établir à moins de 1 500, a fortement grimpé après ce budget de 2005 pour se fixer à plus de 16 000 sociétés en 2011, soit une augmentation de dix fois supérieure, et selon l’Association médicale de l’Ontario, à plus de 20 000 aujourd’hui.

De toute évidence, ce changement juridique fait en catimini a procuré des avantages considérables au point tel que de nombreux médecins ont engagé des coûts pour la création de leurs propres entreprises privées. Si la province de l’Ontario voulait aider les médecins à maintenir leur niveau de revenus après impôt, elle pourrait toujours s’allier au gouvernement fédéral pour mettre fin à ces échappatoires et utiliser l’accroissement de ses recettes fiscales pour augmenter ouvertement leur rémunération, au lieu de dissimuler ces avantages très réels par des allègements d’impôt à la dérobée.

De façon plus générale, beaucoup de gens du milieu des affaires et certains économistes de premier plan vantent les avantages importants que procure la réduction des impôts sur les bénéfices des entreprises pour améliorer la croissance économique.

On trouve cependant un tableau très révélateur dans le document de travail du ministre. On voit que les revenus imposables de la plupart des grandes sociétés publiques, même avec toutes les importantes réductions d’impôt sur le revenu des sociétés depuis 2000, étaient assez stables en regard de leur apport au PIB (exprimé en pourcentage) de 2002 à 2014. Au cours de cette même période, les revenus des travailleurs indépendants en pourcentage de parts au PIB ont diminué d’environ un quart. En revanche, la croissance la plus spectaculaire a été celle des petites sociétés privées en mesure d’exploiter les échappatoires liées au fractionnement du revenu et dont les revenus ont plus que doublé, selon leur pourcentage d’apport au PIB.

Peut-on expliquer la baisse de revenus liée aux travailleurs indépendants et la multiplication par deux des revenus provenant des entreprises privées simplement par le nombre croissant de particuliers bien avisés ayant un revenu élevé qui ont appris à exploiter les échappatoires fiscales? Il n’est pas possible de tirer de conclusions avec les données disponibles, mais nous pourrions savoir si le gouvernement a suivi les recommandations du vérificateur général du printemps 2015 qui prônaient plus d’ouverture et d’exhaustivité dans les rapports publics sur ces types de dispositions fiscales.

En définitive, la réponse est non, le ciel n’est pas en train de s’abattre sur les petites entreprises du Canada. Les propositions du ministre favoriseraient de toute évidence l’équité fiscale, car les recettes supplémentaires recueillies principalement auprès des personnes à revenu élevé, grâce à l’uniformisation de leurs taux d’imposition réels avec leurs homologues salariés, pourraient être utilisées pour bénéficier aux pauvres et à la classe moyenne.

 

Michael Wolfson est conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca et membre du Centre de Droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa. Il a été titulaire de la chaire de recherche du Canada à l’Université d’Ottawa. Il est ancien adjoint au statisticien en chef à Statistique Canada et possède un doctorat en économie de Cambridge.

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