Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil at Le Huffington Post Quebec

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THE CANADIAN PRESS/John Woods

Depuis que les unités de soins intensifs (USI) ont été créées dans les hôpitaux il y a plus d’un demi-siècle, les taux de mortalité des personnes gravement malades et nécessitant des soins de maintien des fonctions vitales ont diminué de manière constante. Ce sont des progrès considérables, accomplis grâce au travail de pionniers comme les nombreux médecins, infirmières et chercheurs qui ont découvert de meilleures façons de libérer les patients des soins vitaux afin qu’ils puissent quitter l’hôpital et fonctionner de manière autonome.

Or, comme neurologue pratiquant la médecine dans une unité de soins intensifs, je constate que nous devons maintenant accorder la même attention à la santé neurologique des patients qui quittentl’unité de soins intensifs. De nouvelles études mettent en lumière les taux élevés de dysfonctionnement cérébral aigu – ou delirium – chez les patients qui subissent des traitements en unité de soins intensifs hospitaliers.

Selon l’étude abordée, le taux de prévalence de délire à la suite d’un traitement en unité de soins intensifs varie de 30 à 80 pour cent, des chiffres impressionnants. Comment se manifeste le délire? On caractérise le délire par un niveau de conscience fluctuant, une dérive hors de la conscience, un manque d’attention et une pensée désorganisée.

Les états varient; on peut voir des patients couchés dans un lit complètement inattentifs et détachés de leur environnement ou des patients agités et agressifs. Voir une personne aimée en état de délire peut être déchirant pour les proches.

Pendant mes visites au chevet des patients, on me pose souvent des questions comme celle-ci : « Comment se fait-il que ma mère, admise il y a trois jours pour une pneumonie, me regarde fixement comme si elle ne m’avait jamais vu auparavant? » C’est ce qu’on appelle le délire d’origine hospitalière.

Il est difficile de répondre à des questions comme celles-ci, surtout parce qu’on ne connaît tout simplement pas la réponse.

Lorsqu’un patient devient gravement malade, que ce soit une crise cardiaque, une infection aigüe ou un traumatisme, il peut avoir besoin d’aide pour respirer et être relié à un respirateur pour le maintenir en vie. Aussi, on traite souvent les patients avec des médicaments contre la douleur et l’anxiété.

Même si nous mettons tous les efforts possibles pour maintenir en vie nos patients dans l’unité de soins intensifs, le cerveau peut se mettre à fonctionner anormalement.

Dans le cadre de conférences médicales, on assiste à des présentations sur « la physiopathologie (causée par le délire) » pendant lesquelles des conférenciers présentent des dessins aux traits magnifiques et élaborés, avec des flèches menant d’une case à une autre. Or, avec mes quelques années de carrière en médecine universitaire, j’ai appris que plus le schéma est complexe, moins nous en savons sur le sujet sous-jacent. C’est particulièrement vrai dans le cas du délire d’origine hospitalière.

Le délire est un problème courant dont nous ignorons la cause, mais nous savons que l’âge avancé et une condition préexistante de démence sont des facteurs de risque importants.

Nous abordons le problème lentement en tentant de réduire les risques. Dans la communauté médicale, nous mettons en œuvre des lignes directrices sur les pratiques de sédation, nous encourageons le sommeil et la mobilisation et la physiothérapie précoces. Mes collègues et moi-même avons entrepris une étude multicentrique visant à déterminer si l’apport insuffisant d’oxygène au cerveau contribue au risque de délire.

Les conséquences du délire peuvent être mortelles. Ceux qui en souffrent pendant leur séjour à l’USI sont plus susceptibles de rester plus longtemps aux soins intensifs, de mourir à l’USI ou à l’hôpital.

Et pour les survivants, le délire attribuable aux soins intensifs est un facteur de risque de déficience cognitive à long terme. Cette fragilité nouvellement acquise après un séjour en USI se manifeste par des symptômes qui vont bien au-delà de l’oubli occasionnel comme la perte de clés. L’étude BRAIN-ICU de l’Université Vanderbilt indique que 40 pour cent des survivants de l’USI qui ont développé un délire à l’hôpital fonctionnent comme une personne souffrant d’un traumatisme cérébral modéré et 26 pour cent, comme une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Que peut-on faire en prévention?

Les médecins et les administrateurs médicaux peuvent faire participer les familles dans les soins aux patients. Nous savons que des choses simples, comme l’abandon des « heures de visite », peuvent aider à diminuer les taux de délire. Les organismes gouvernementaux devraient reconnaître que la survie à l’USI doit être une priorité de recherche, ce que nos patients savent depuis un certain temps. Lorsqu’on leur a posé la question, des personnes âgées en bonne santé nous ont dit que la fonction cérébrale à long terme devrait être le premier résultat soumis à l’examen dans les études de soins intensifs.

Dans notre recherche de stratégies pour prévenir et traiter le délire, nous demandons aussi aux familles de nos patients de soutenir nos efforts. Rendez visite à vos proches! Parlez-leur et apportez-leur des objets familiers qui peuvent les aider à rester ancrés. Ce sont ces petits gestes qui sont parfois les plus déterminants.

 

J. Gordon Boyd est clinicien-chercheur au Centre des sciences de la santé de Kingston et à l’Université Queen’s où il pratique la neurologie et la médecine des soins intensifs. Il est chercheur auprès du Réseau canadien des soins aux personnes fragilisés et collaborateur auprès d’EvidenceNetwork.ca, rattaché à l’Université de Winnipeg.


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