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D’abord, règlementer l’industrie des aliments et des boissons

Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil and Le Huffington Post Québec

Vous avez sûrement entendu dire que l’obésité a pris des proportions épidémiques au Canada et contribue à la hausse des troubles d’hypertension, de diabète, de maladies du cœur, d’AVC, de cancer et autres troubles de la santé. Mais peu est dit sur le fait que cette situation entraîne une hausse du coût des soins et met en péril la durabilité de notre système de santé financé par les fonds publics. L’épidémie d’obésité menace aussi la productivité de notre main-d’œuvre et réduit la compétitivité économique.

Ce dossier brûlant suscite peu de réaction de la part du gouvernement.

À la base, l’obésité est le résultat d’une consommation excessive de calories par opposition à la dépense de calories. Mais les causes et les solutions sont très complexes et incluent divers facteurs allant du taux de stress aux inégalités sociales, en passant par la production des aliments, la conception des villes et un éventail d’autres éléments dont la présence ne doit pas justifier l’inaction.

Le gouvernement doit tenir compte des nombreuses données probantes à ce sujet et poser des gestes concrets.

Donc, par où commencer? D’abord, réduire la consommation de calories. Bien que l’activité physique contribue au maintien d’une bonne santé, la recherche suggère que l’exercice seul ne suffit pas pour contrôler son poids. Ce n’est donc pas le premier élément sur lequel le gouvernement doit se pencher.

Malheureusement, les programmes de promotion de la santé axés sur la responsabilité et les choix alimentaires personnels ont un impact limité face aux grandes campagnes de publicité et de marketing menées par l’industrie des aliments et des boissons. À ce jour, malgré les efforts de promotion de la santé dans les écoles (réduire la malbouffe et augmenter l’activité physique) et d’autres lieux, le taux d’obésité demeure obstinément élevé. L’autoréglementation de l’industrie semble une voie invitante, mais dans les faits, cette approche ne fonctionne pas.

De toute évidence, des mesures plus efficaces sont nécessaires. Mais lesquelles?

Les meilleures données probantes et les expériences portant sur d’autres comportements à risque pour la santé (abus d’alcool, alcool au volant, non-utilisation de la ceinture de sécurité et du casque et tabagisme) démontrent que les mesures règlementaires que le gouvernement prendrait pour « pousser » les individus à réduire leur consommation de calories et contrer l’épidémie d’obésité s’avéreraient financièrement très rentables. Voici comment cela pourrait se faire.

Premièrement, les gouvernements (fédéral et provinciaux) doivent imposer une taxe importante sur les boissons contenant du sucre ajouté. Celles-ci ont peu sinon aucune valeur nutritive et représentent une part importante de la consommation excessive de calories. Bien que certaines juridictions aient imposé une modeste taxe sur ce type de boissons, il n’y a eu aucune tentative d’imposer une taxe substantielle sur une période suffisante pour déterminer si une telle mesure peut réduire la consommation. Toutefois, la théorie économique, les données cliniques et les apprentissages relatifs à la consommation de tabac et d’alcool suggèrent que cette mesure réduirait la consommation de calories et les taux d’obésité tout en générant un revenu pour les gouvernements.

Deuxièmement, les gouvernements (provinciaux et fédéral) doivent, par la voie de la règlementation, limiter le marketing et la vente d’aliments et de boissons vides, surtout aux enfants. Ces mesures incluraient un contrôle de la publicité électronique et imprimée, la commandite d’infrastructures et d’événements sportifs, culturels et scolaires, et des événements de promotion de la santé, ainsi qu’un contrôle sur les présentoirs d’aliments et de boissons vides aux caisses des épiceries et autres sites où circulent des enfants. À l’échelle municipale, ces mesures de contrôle doivent toucher aussi l’offre d’aliments et de boissons vides dans des lieux situés près des écoles.

Troisièmement, le gouvernement fédéral doit adopter une stratégie de réduction du sel (y compris des étiquettes de mise en garde, des politiques de restriction en matière de publicité et d’approvisionnement, comme le fait le projet de loi C-460). Le sel n’est pas calorifique en soi mais il constitue un ingrédient clé dans de nombreux aliments vides et suscite une envie soutenue de les consommer.

Quatrièmement, les gouvernements doivent introduire une règlementation qui oblige les restaurateurs et autres commerçants alimentaires à fournir une information plus complète sur le contenu calorifique et nutritif.

Mais attendez. Est-ce là l’« État hyperprotecteur » contre lequel on nous a tant mis en garde?

À New York, le maire Bloomberg, qui a règlementé le format des boissons contenant du sucre ajouté, a été accusé de mettre en place un « État hyperprotecteur ». Or, l’industrie des aliments et des boissons font d’énormes profits et refilent aux contribuables la facture pour les soins de santé prodigués aux personnes atteintes de maladies liées à l’obésité. Cette situation confirme la faiblesse des mécanismes régissant le marketing et le gouvernement doit mettre en place des mesures correctives.

Oui, une telle réglementation pourrait entraîner des conséquences inattendues. Le temps le dira, mais l’inaction n’est pas une option.

Nous devons plutôt aller de l’avant en surveillant de près et en évaluant les résultats, en tirant des leçons des erreurs commises et en disséminant les réussites dans d’autres régions. Si nous attendons, nous perdrons une occasion de faire dès maintenant une réelle différence, pour nous et pour les générations à venir.

John Millar agit comme expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et est professeur clinicien à la School of Population and Public Health de l’Université de la Colombie-Britannique.

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