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Un lien a été établi entre l’exposition prolongée à un stress toxique et la dépression, les maladies du cœur, le diabète et l’alcoolisme.

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Le stress parental peut nuire au cerveau du fœtus et du bébéLe mois dernier, on rapportait qu’une femme d’Edmonton a été lourdement battue par son époux. Bien que la femme ait dû se rendre à l’hôpital en raison de l’agression, la police offrait une mince consolation en affirmant que le bébé à naître, au moins, n’avait pas été touché.

Malheureusement, cette affirmation sous-estime les graves effets que peut avoir un stress intense sur le développement de l’enfant au cours des premières années de sa vie, y compris pendant qu’il est toujours dans l’utérus. Afin de contribuer à mettre fin aux cycles de violence qui trop souvent mènent à de telles situations, nous devons comprendre tous les effets qu’engendrent les agressions et la négligence au tout début de la vie, de même que ce que nous pouvons faire pour contrer ces effets.

Les données indiquent qu’une exposition constante à un stress prénatal maternel élevé, c’est-à-dire un stress qualifié de « toxique », nuit à l’architecture du cerveau du fœtus et du bébé, ce qui a pour conséquence que l’enfant au cours de sa croissance sera à risque d’éprouver de nombreuses difficultés d’ordre émotionnel et intellectuel. Les enfants qui ont été exposés à un stress toxique ont en effet plus de difficulté à écouter des consignes avec attention et sont moins habiles pour faire des casse-tête et exécuter des tâches conçues pour mesurer leurs capacités cognitives.

La principale coupable dans ce type de situation est l’hormone du stress, qu’on appelle le cortisol. Bien qu’il soit sécrété naturellement par le corps et fasse partie intégrante de notre système de réaction au stress, le cortisol peut devenir nocif lorsqu’il est présent en trop quantité dans le corps. Produit par des glandes lorsque nous sommes en situation de danger réel ou perçu, il sert à mettre tout le corps dans une sorte d’état d’alerte en redistribuant l’énergie de nos organes vers nos principaux groupes musculaires, afin que nous soyons plus aptes à fuir ou à nous battre, et en interrompant le fonctionnement de nos systèmes digestif et immunitaire, afin que le corps se concentre sur sa survie plus immédiate. 

Tous ces changements provoqués par le cortisol sont extrêmement importants lorsqu’il s’agit de fuir un tigre, de se battre contre une tribu ennemie ou de faire face à la kyrielle des autres dangers avec lesquels devaient composer nos ancêtres. Toutefois, ils peuvent avoir aujourd’hui des conséquences négatives chez les personnes qui subissent un stress intense, car la présence de cortisol dans l’organisme empêche le corps de retrouver son état d’avant le stress, appelé homéostasie.

L’homéostasie est l’état où le corps fonctionne de façon optimale, et une incapacité de retrouver cet état entraîne des conséquences qui à long terme peuvent être considérables, s’apparentant pour ainsi dire une usure et une dégradation du corps. Un lien a été établi entre l’exposition prolongée à un stress toxique et la dépression, les maladies du cœur, le diabète et l’alcoolisme, des problèmes de santé certes associés à l’âge adulte, mais dont le germe est souvent planté au cours des premières années de la vie.

Heureusement, il est possible d’atténuer plusieurs des effets du stress toxique, et la solution n’est pas une question de médicaments coûteux ou de traitements médicaux complexes. Il s’agit plutôt, en ce qui concerne les parents, de fournir du soutien. Soutenir les parents par le biais de maisons d’hébergement pour les femmes, d’allégements fiscaux et de meilleurs services pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale permet d’aider deux générations à la fois, soit les parents et leurs enfants.

En ce qui concerne les enfants, il s’agit d’apporter du soutien au rôle parental. La même étude qui a établi un lien entre le stress parental et des capacités cognitives moindres chez l’enfant a également montré que ce problème peut être complètement renversé, pourvu que l’enfant reçoive une attention aimante et constante d’au moins un parent ou parent-substitut. Les relations d’interaction, c’est-à-dire caractérisées par des échanges attentifs et bienveillants entre l’enfant et des adultes, ont un puissant effet de guérison.

Bien que les mécanismes en cause ne soient pas encore très bien compris, nous croyons qu’une relation d’interaction et de sollicitude entre l’enfant et ses parents agit sur le premier comme un système de filtration du stress dont l’effet est d’amoindrir la sécrétion de fortes doses de cortisol qu’un jeune corps n’est pas en mesure de gérer adéquatement. Une relation saine permet ainsi de rééquilibrer le corps de l’enfant et d’empêcher une surproduction de cortisol.

Il semble donc que le soutien puisse être l’élément déterminant entre la perpétuation ou l’interruption du cycle de la violence.

Si nous souhaitons mettre fin à la violence, éliminer la pauvreté et contribuer à résoudre les problèmes les plus épineux de notre société, la meilleure façon se s’y prendre est de commencer par le début : la période prénatale et la première enfance. Également, il ne faut pas oublier les parents qui élèvent les enfants. Nous devons offrir du soutien aux parents, en particulier ceux qui vivent d’importants stress. Nous avons tous avantage à protéger et à soutenir les familles avec enfants afin de donner à tous les enfants le meilleur départ possible. 

Nicole Letourneau est experte-conseil à EvidenceNetwork.ca. Professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine de l’Université de Calgary, elle est également titulaire de la chaire de la Fondation Norlien/Hôpital pour enfants de l’Alberta en santé mentale des parents-enfants de la même université. Justin Joschko est un rédacteur indépendant résidant à Ottawa. Ils sont coauteurs du livre Scientific Parenting, publié récemment par Dundurn Press.

avril 2014


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