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Il y a un peu plus d’un an, on m’a invitée à participer à une activité organisée sur la Colline du Parlement pour souligner la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Y assistaient une dizaine de sénateurs des deux principaux partis, des attachés politiques ainsi que les représentants d’un éventail diversifié d’associations du secteur de l’autisme. Je m’attendais ni plus ni moins à assister, comme dans la plupart des événements de ce genre, à un concert de « bons sentiments » sur les progrès accomplis jusque-là et le long chemin qu’il restait à parcourir.

Au bout d’une heure, cependant, ceux qui n’avaient pas les larmes aux yeux dans la salle étaient rares.

Il se trouve que bon nombre des politiciens présents ce jour-là avaient vécu des expériences personnelles touchant l’autisme. Un sénateur a parlé longuement de son petit-fils autiste et de la difficulté qu’avait sa fille à obtenir des services adéquats; de l’épreuve que traversait toute la famille sur le plan économique, physique et affectif. Il n’a pas pu contenir ses larmes.

Une sénatrice a raconté les tracas d’une famille de son entourage obligée de patienter encore et encore avant de pouvoir accéder à des services essentiels, notamment en matière d’orthophonie et de thérapie comportementale. Plus d’une personne présente a évoqué les choix difficiles auxquels des familles sont acculées. Certaines décident même d’abandonner emploi et lieu d’origine pour déménager en Alberta ou en Colombie-Britannique où les services sont plus faciles d’accès et souples qu’ailleurs, en particulier lorsqu’une famille compte plus d’un enfant autiste.

D’autres ont évoqué le fardeau économique qu’entraîne pour les familles le recours aux thérapies privées ‒ des soins qu’elles payent de leur propre poche, souvent à hauteur de dizaines de milliers de dollars par année. Certaines finissent même par réhypothéquer leur maison ou par la vendre rien que pour être en mesure d’offrir à leur enfant les services de base dont il ou elle a besoin pour se développer et s’épanouir.

Si une chose a été mise en évidence, ce jour-là, c’est que l’autisme ne fait pas de distinction entre libéraux, conservateurs ou néodémocrates, comme j’ai entendu un jour le sénateur Jim Munson, fervent défenseur de la cause, l’affirmer. Ce trouble de neurodéveloppement touche la population canadienne d’un bout à l’autre du pays, peu importe où l’on se situe sur le spectre politique.

D’autres constats se dégagent de cette journée, que des rapports régionaux ont confirmés par la suite : les familles d’enfants autistes sont en difficulté; le nombre de cas augmente; la plupart des provinces ne parviennent pas à fournir tous les services nécessaires.

Selon une enquête menée récemment par l’Alliance canadienne des troubles du spectre autistique (ACTSA), près des trois quarts des parents d’un enfant autiste d’âge préscolaire au Canada auraient souhaité se prévaloir d’une intervention précoce en matière de comportement, mais n’en ont pas bénéficié. C’est pourtant l’une des rares thérapies dont l’efficacité a été démontrée scientifiquement.

Selon une étude McKinsey (2014), plus de 1000 enfants au Québec ont attendu jusqu’à deux ans avant d’accéder à une évaluation diagnostique et plus de 800 enfants, d’un à
trois ans avant de bénéficier d’une intervention précoce en thérapie comportementale.

Un autre rapport troublant publié le mois dernier par la Vérificatrice générale de l’Ontario nous apprend qu’il y a plus d’enfants autistes qui attendent de recevoir des services que d’enfants qui en bénéficient. Plus de 16 000 enfants sont inscrits sur des listes d’attente qui ne cessent de s’allonger.

Cet état de choses correspond largement à ma propre expérience en Ontario. Je me considère comme une fière défenseure du régime universel de santé et de la nécessité de donner des soins à tous ceux qui en ont besoin et non seulement à ceux qui en ont les moyens; toutefois, j’ai le sentiment d’avoir été abandonnée à un moment critique. Après m’être rendu compte que le développement de mon fils ne suivait pas les étapes habituelles, j’ai appris qu’il nous faudrait attendre des années, dans le réseau public, avant d’obtenir un diagnostic. Nous avons alors décidé de nous tourner vers le privé, après quoi il a tout de même fallu attendre plus de deux ans avant d’accéder à une thérapie comportementale dans un établissement public. Qui plus est, nous n’en avons bénéficié que pendant six mois.

C’était trop peu, trop tard. Comme beaucoup d’autres familles touchées par l’autisme, nous avons décidé, au lieu d’attendre, de nous adresser à un prestataire privé et de payer les services essentiels dont notre fils avait besoin et qui lui ont permis de s’épanouir. Nous faisons partie des chanceux qui pouvaient se le permettre, même si ce ne fut pas sans difficulté.

Les nouvelles déprimantes qui font la une des journaux sur les lacunes en matière de services destinés aux autistes sont récurrentes dans les médias, quelle que soit la région. On pourrait quasiment les recycler en changeant tout simplement le nom de la province concernée. Il n’est pas exagéré d’affirmer que nous faisons face à une crise dans ce domaine.

Que peut-on faire face à la situation? Un tas de choses en fait.

Les données confirment que la prestation de services adéquats en éducation et en santé aux enfants autistes et à leurs familles en vaut largement la peine. L’intervention précoce est un facteur essentiel; elle permet d’éviter le recours ultérieur à des services encore plus spécialisés et coûteux. En d’autres termes, il est logique, d’un point de vue économique, de les proposer dès un jeune âge.

Les enfants autistes ne sont pas une cause perdue d’avance, bien au contraire; ce sont des individus pleins de potentiel. C’est nous qui ne sommes pas à la hauteur.

Le gouvernement précédent avait franchi un pas dans la bonne direction en mettant sur pied un Groupe de travail sur les troubles du spectre autistique. Ce comité devait réunir des intervenants de toutes les régions du pays afin de discuter des principaux enjeux et mettre en commun des pratiques exemplaires. Pour véritablement améliorer les choses pour les familles concernées, toutefois, il faudra que le fédéral investisse encore davantage de fonds.

Le gouvernement libéral pourrait se remettre au travail en dépoussiérant l’excellent rapport publié en 2007 par un comité sénatorial interpartis sous le titre éloquent de Payer maintenant ou payer plus tard : les familles d’enfants autistes en crise. Quelle était sa première recommandation? L’adoption d’une stratégie nationale en matière d’autisme.

Nous attendons depuis presque dix ans que ce projet se concrétise. Le temps est venu pour le fédéral de réunir les meilleurs cerveaux sur cette question et de se doter d’une stratégie qui accordera à nos enfants autistes, dans toutes les régions du pays, les services dont ils ont besoin pour survivre et s’épanouir. Ce serait là une décision aussi juste que judicieuse.

Kathleen O’Grady est associée de recherche à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia et rédactrice en chef du site EvidenceNetwork.ca. Elle est mère de deux garçons, dont l’un est autiste.

Decembre 2015

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