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Une version de ce commentaire est parue dans L’Aut Journal et Le Huffington Post Québec

L’effet « Angelina Jolie » est maintenant confirméJusqu’à présent, l’affirmation selon laquelle les comportements des vedettes en matière de santé influaient sur les comportements des consommateurs n’était qu’une hypothèse. Dans ce cas, la question était de savoir si les femmes étaient prêtes à se lancer dans une chasse aux gênes pour vérifier si elles risquaient fortement d’être frappées d’une maladie particulière, comme le cancer du sein, l’élément de motivation étant Angelina Jolie.

L’actrice a subi un test génétique pour détecter la présence de mutations liées à des anomalies génétiques (gènes BRCA1 et BRCA2) qui augmentent chez les femmes le risque de cancer du sein. Venant d’une famille aux antécédents médicaux marqués par le cancer du sein, Mme Jolie était considérée comme étant dans une catégorie « à risque plus élevé » et probablement dans un petit nombre de femmes qui pouvaient bénéficier d’un tel test.

Après avoir appris qu’elle était porteuse des mutations, Mme Jolie a décidé d’aller de l’avant et de subir une double mastectomie, c’est-à-dire une ablation chirurgicale complète des deux seins. Ce geste a non seulement suscité beaucoup d’attention de la part des médias, entre autres celle du New York Times qui a publié son article d’opinion, il a aussi poussé nombre de femmes à demander un test de dépistage.

La semaine dernière, des chercheurs de l’hôpital Sunnybrook à Toronto ont présenté une étude au symposium sur le cancer du sein de la American Society of Clinical Oncology [société américaine d’oncologie clinique] qui se penche sur « l’effet Angelina Jolie ». Les chercheurs ont comparé le nombre d’ordonnances médicales émises pour des consultations génétiques dans les six mois précédant et les six mois suivant la diffusion de la démarche de Mme Jolie, et le nombre de femmes qui répondaient aux critères indiquant qu’elles devaient subir un test pour dépister le gène mutant BRCA. Les résultats ont indiqué que le nombre d’aiguillages avait presque doublé et que le nombre de femmes qui répondaient aux critères indiquant la pertinence d’un test génétique avait plus que doublé.

Il s’agit donc d’une bonne nouvelle, et ce pour plusieurs raisons. Les chiffres confirment que les femmes à faible risque ne consultent pas leur médecin inutilement.

À la suite de la publicité entourant la démarche de Mme Jolie, nous nous attendions à ce que nombre de femmes se précipitent chez leur médecin pour réclamer un test génétique, par peur d’être à risque de cancer du sein (tout en ne l’étant pas). En fait, prévoyant une ruée, le U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) [groupe de travail sur les services préventifs aux É.-U.], un groupe de scientifiques indépendant qui émet des recommandations en matière de dépistage, a émis un avertissement l’an dernier précisant que les femmes à faible risque ou qui ne bénéficieraient probablement pas d’un test BRCA pour détecter des mutations génétiques associées au cancer du sein ne devraient pas solliciter un tel service.

Une consigne invitant les femmes à ne pas demander une consultation ou un test de dépistage génétique d’usage soulève, certes, la controverse.

Chose certaine, les femmes sont poussées à rechercher de l’information sur le dépistage génétique, vu la grande peur que suscite le cancer du sein et vu la conviction qu’un dépistage précoce sauve des vies. Par ailleurs, le USPSTF craignait que les femmes qui se précipiteraient dans la file pour subir le test seraient des « inquiètes asymptomatiques » qui ne porteraient probablement pas le gène mutant et pour qui la procédure ne serait d’aucun bienfait. De toute évidence, chez les femmes à faible risque, l’ablation prophylactique d’un sein est une mesure extrême qui comprend des risques en soi.

Il y a eu également d’autres cas où les autorités de santé publique ont noté les propos et agissements des vedettes en matière de santé. Le terme « effet Katie Couric » a été créé pour décrire l’impact que celle-ci a produit sur le public en subissant une coloscopie en direct à l’émission Today Show. Le fait de braquer les projecteurs sur le dépistage de toute forme de cancer est une façon efficace de faire bouger les gens et de les amener à consulter leur médecin et à passer à l’action.

En fin de compte, les gens qui veulent se soumettre à un dépistage, que ce soit pour le cancer du sein, du poumon, de la prostate ou pour les maladies du cœur, doivent avoir une franche discussion avec leur médecin pour connaître la catégorie de risque à laquelle ils appartiennent, selon leurs antécédents familiaux et médicaux. Si vous faites partie de la catégorie à risque « élevé », alors il est probable que les bienfaits d’un dépistage seront aussi élevés, ce qui n’est pas le cas si vous êtes dans la catégorie à risque faible ou modéré.

Si les femmes à risque de porter des anomalies génétiques pouvant mener au cancer du sein demandent à subir le test (deux à trois femmes sur mille ont les mêmes anomalies génétiques qu’Angelina Jolie), si un plus grand nombre de femmes de cette catégorie en font la demande, nous pouvons parler d’effets positifs.

Toutefois, nous ne devrions pas nous laisser éblouir par les agissements des vedettes et nous précipiter sur des services de dépistage par engouement. Toute forme de dépistage comporte des risques ou peut donner de faux résultats positifs (on vous dit que vous êtes atteint de la maladie alors que vous ne l’êtes pas) et de faux résultats négatifs (on vous dit que vous n’êtes pas atteint de la maladie alors que vous l’êtes).

L’enseignement à tirer de l’histoire d’Angelina Jolie n’est pas « vaut mieux prévenir que guérir » mais plutôt « ne vous lancez pas à l’aveuglette… »

Alan Cassels est expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, chercheur en politiques de la santé à l’Université de Victoria, en C.-B., et l’auteur de Seeking Sickness: Medical Screening and the Misguided Hunt for Disease.

septembre 2014


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