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Une nouvelle étude ne relève aucune amélioration du rendement scolaire chez les enfants prenant des médicaments destinés au traitement des troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention.

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Les médicaments aident-ils les enfants ayant un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, ou leur nuisent-ils ?

Au cours des vingt dernières années, les troubles mentaux ont surpassé les déficiences physiques en tant que principale cause de limitation des activités chez l’enfant. Aujourd’hui, le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) est trois fois plus susceptible que l’asthme de constituer une source d’incapacité de l’enfant, et les cas de THADA chez les enfants d’âge scolaire sont en croissance autant au Canada qu’aux États-Unis.

Une question difficile que doivent généralement se poser les parents d’un enfant souffrant d’un THADA est celle de savoir s’ils doivent ou non lui faire prendre du Ritalin ou de l’Adderall, les deux médicaments les plus couramment utilisés pour traiter le THADA et les comportements hyperactifs et impulsifs associés à ce trouble. De plus en plus, la réponse des parents et des médecins à cette question est « oui ». 

Il y a des enfants pour qui le Ritalin et l’Adderall sont essentiels et contribuent grandement à améliorer la qualité de vie, mais il y en a de nombreux autres pour qui les avantages qu’apportent ces médicaments sont moins certains. Dans une étude coréalisée avec Lauren Jones et publiée dans le Journal of Health Economics, nous avons examiné les effets à court et moyen termes de stimulants comme le Ritalin sur les résultats des enfants (en anglais seulement). L’étude propose une analyse de l’essor en 1997 de l’assurance médicaments au Québec (Canada), qui a accru de façon importante l’accès à une assurance pour les médicaments sur ordonnance et ainsi contribué à rendre ces derniers plus abordables. Dix ans après cet essor, les enfants québécois consommaient des stimulants dans une proportion deux fois plus élevée que ceux du reste du Canada, 44 % des ordonnances de médicaments contre le THADA produites au Canada en 2007 ayant été rédigées par des médecins du Québec, qui pourtant compte qu’un peu plus de 20 % de la population canadienne.

On pourrait s’attendre à ce que cet accroissement de l’accès à des médicaments contre le THADA se soit accompagné d’une amélioration de la santé et, idéalement, des résultats scolaires des enfants concernés. Or, les données relevées dans le cadre de notre étude indiquent plutôt que les enfants consommant de tels médicaments ont obtenu de moins bons résultats. Ces données, nous les avons produites en comparant les enfants québécois avant et après l’essor de l’assurance médicaments, et les enfants québécois par rapport aux enfants du reste du Canada, où la consommation de stimulants n’a pas connu une augmentation aussi rapide. 

Un accès accru aux médicaments n’a pas entraîné de résultats prometteurs. Nous avons en réalité observé un accroissement chez les enfants québécois des problèmes associés aux effets secondaires possibles et connus des stimulants, comme la dépression et l’anxiété. Nous avons en outre relevé très peu de données signalant un quelconque effet bénéfique de ces médicaments sur les résultats scolaires des enfants. En fait, nous avons plutôt constaté une augmentation du redoublement scolaire et une baisse des résultats en mathématiques.

Lorsque nous avons examiné les données sur les garçons et sur les filles séparément, il nous est apparu qu’un plus grand nombre de garçons ont commencé à prendre des stimulants après la modification de la politique québécoise sur les médicaments, y compris de nombreux garçons chez qui les premiers symptômes d’un THADA étaient de faible intensité. Du côté des filles, l’augmentation de la consommation de stimulants était davantage concentrée chez celles dont les premiers symptômes étaient de forte intensité. Pourtant, cette hausse de la consommation de stimulants chez les filles atteintes d’un THADA est associée à une plus grande souffrance émotionnelle, à un risque accru de dépression, à une baisse des résultats en mathématiques et à une diminution de la probabilité de poursuivre des études postsecondaires. 

Comment est-ce possible qu’un accroissement de l’utilisation des médicaments servant à traiter le THADA soit associé à un moins bon rendement scolaire ?

Étant donné les autres données accessibles, il est peu probable que ce soit parce que les médicaments utilisés pour le traitement du THADA peuvent nuire à la santé physique des enfants lorsqu’ils sont consommés de façon adéquate. Il est toutefois possible que ce soit parce qu’un enfant qui prend des stimulants est susceptible de souffrir d’une stigmatisation sociale liée au fait d’être étiqueté comme ayant un THADA ou d’être placé dans une classe d’enseignement spécialisé. 

Une autre possibilité est que la médication se substitue à d’autres types d’interventions cognitives et comportementales qui peuvent être nécessaires pour aider l’enfant dans son apprentissage. En rendant un enfant moins dérangeant, la prise d’un médicament contre le THADA peut entraîner une diminution de l’attention que reçoit celui-ci dans une classe moyenne et ainsi réduire ses chances d’obtenir les autres services dont il a besoin. Une troisième possibilité est que le médicament lui-même, en particulier s’il n’est pas pris de façon adéquate ou si le dosage n’est pas adapté, ait un effet négatif sur le bien-être émotionnel et l’apprentissage de l’enfant.

Notre étude met en évidence les effets des médicaments destinés au traitement du THADA en fonction de leur usage réel au sein d’une collectivité donnée. Elle ne cherche pas à répondre à la question de savoir si une utilisation optimale et ciblée de ces médicaments peut aider les enfants.

Nos résultats laissent toutefois entendre que les observateurs qui se disent inquiets de l’augmentation fulgurante de la consommation des médicaments contre le THADA aux États-Unis, au Canada et dans d’autres pays ont raison d’être préoccupés. Les conclusions de notre étude indiquent que nous devrions être moins prompts à prescrire des médicaments à un enfant ou à présumer qu’un enfant qui prend des médicaments est un enfant dont on a comblé adéquatement les besoins.

Les stimulants peuvent être très utiles pour certains enfants, mais il est peu probable que la croissance rapide de leur utilisation au cours des dernières années soit la meilleure solution. Il est même possible que certains des enfants qui prennent des stimulants aient plutôt avantage à ne plus le faire.

Janet Currie est professeure en économie et en politiques publiques à l’université de Princeton. Mark Stabile est directeur de l’École de politique publique et professeur à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto. Il est également expert-conseil à EvidenceNetwork.ca.

Visionnez les deux affiches, 1 et 2 basées sur l’article

Juillet 2014


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