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Une version de ce commentaire est parue dans Le Droit, Huffington Post Quebec et L’Aut’ Journal

 
NAFTA re-negotiations may threaten Canada’s steps toward universal pharmacareLa « modernisation » de l’ALENA a d’importantes répercussions sur de nombreux secteurs de l’économie, notamment les soins de santé. Ce qui est en jeu : le droit des Canadiens à l’accès universel à des médicaments abordables.

Dans les négociations avec les États-Unis et le Mexique, les représentants du commerce et de la santé au Canada devraient être attentifs à deux choses.

La première : les négociateurs commerciaux des États-Unis ont longtemps favorisé l’intérêt des fabricants de produits pharmaceutiques. Le programme commercial américain est en effet fortement influencé par les conseillers et lobbyistes de l’industrie pharmaceutique avec peu ou pas d’opposition d’autres secteurs comme les professionnels de la santé ou le public.

Dans les négociations commerciales antérieures, le Canada n’a pas obtenu de bons résultats sur les médicaments d’ordonnance.

En effet, dans les années 1980, l’industrie pharmaceutique des États-Unis a fait pression sur le gouvernement américain pour éliminer de l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis la concurrence exercée par l’arrivée hâtive de médicaments génériques au Canada. Et dans les années 1990, le démantèlement de politiques favorisant les fabricants de médicaments canadiens a fait partie de l’accord initial de l’ALENA.

En renégociant l’ALENA, les experts s’attendent à ce que les États-Unis pressent le Canada pour protéger plus longtemps les monopoles sur les médicaments brevetés. Cela viserait à retarder la concurrence des médicaments génériques moins coûteux et augmenterait considérablement les coûts pour les Canadiens, sans aucun avantage en retour.

Des changements dans les droits de propriété intellectuelle des médicaments ne seraient cependant pas aussi néfastes pour le Canada que d’autres objectifs poursuivis par les États-Unis pour le compte de l’industrie pharmaceutique dans ces nouvelles négociations. L’expérience internationale nous laisse croire que les États-Unis tenteront également de limiter les politiques de leurs vis-à-vis commerciaux sur les prix et la couverture de produits pharmaceutiques.

À cet égard, l’expérience de l’Australie est éloquente. En 2003, dans les négociations sur l’Accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis, les États-Unis avaient un mandat explicite visant l’« élimination de mesures gouvernementales, telles que le contrôle des prix et les prix de référence, qui freinent le plein accès aux marchés des produits américains ». La prétendue « menace » à l’accès aux marchés des produits américains faisait référence à l’évaluation comparative des coûts et de l’efficacité que l’Australie utilise depuis longtemps pour établir la couverture de nouveaux médicaments, dans le cadre de son régime universel d’assurance-médicaments.

L’industrie pharmaceutique voit généralement ces considérations de rapport qualité-prix comme des « barrières non tarifaires » aux marchés.

Le gouvernement australien a défendu avec succès son régime universel d’assurance-médicaments et son droit d’utiliser des processus rigoureux et fondés sur des preuves pour déterminer quels médicaments seraient couverts et lesquels ne le seraient pas. Les négociations sur les produits pharmaceutiques étaient parmi les plus litigieuses et controversées dans l’ensemble de l’accord, et une défense vigoureuse des politiques existantes a été nécessaire pour assurer la viabilité à long terme du régime déjà bien établi et populaire en Australie.

Ce qui nous amène à la deuxième chose que les négociateurs canadiens ne doivent pas oublier : le travail des représentants canadiens de la santé et du commerce consiste non seulement à défendre le système de santé publique existant, mais aussi à reconnaître et à protéger les aspirations des Canadiens à un meilleur système à l’avenir.

Au Canada, la diversité des régimes privés et publics d’assurance-médicaments, y compris le système québécois d’assurance-médicaments obligatoire, donne lieu à des prix élevés des médicaments et des habitudes de prescription inefficaces. Si le Québec et le reste du Canada disposaient à l’avenir d’un système d’assurance-médicaments efficace et viable, les renégociations de l’ALENA devraient donner priorité à la protection des décisions prises dans un tel système concernant la prise en charge fondée sur des données probantes et les négociations obligées sur les prix.

Les négociateurs canadiens devraient aussi esquiver la vieille rhétorique des négociateurs commerciaux et lobbyistes de l’industrie pharmaceutique américaine voulant que l’élimination d’évaluations et de négociations de prix permette miraculeusement d’« améliorer l’accès », au lieu d’augmenter simplement les prix et de générer plus de profits pour l’industrie pharmaceutique.

En réalité, la seule façon de s’assurer que tous les citoyens ont un accès abordable à de véritables innovations pharmaceutiques est d’évaluer chaque médicament selon des critères rigoureux, mais équitables, pour tous les fabricants.

Il est presque certain que les États-Unis prévoiront des dispositions dans les nouvelles négociations de l’ALENA qui compromettront les efforts actuels et futurs visant à assurer une couverture universelle des médicaments sur la base d’évaluations sérieuses de l’efficacité clinique et des coûts comparables. Le Canada doit se préparer à s’engager dans ces négociations.

Ceux qui réagissent avec scepticisme feraient bien de se rappeler que dans ses efforts pour abroger l’Obamacare, l’administration américaine actuelle est prête à augmenter les coûts de soins de santé tout en permettant à des dizaines de millions d’Américains de perdre leur assurance maladie. Si le gouvernement américain est prêt à faire subir cela à ses propres citoyens, il sera fort probablement tenté d’obliger le Canada à faire de même pour les Canadiens au moyen de dispositions de l’ALENA qui empêcheraient la mise en œuvre de politiques de couverture de médicaments équitables et viables.

 

Ruth Lopert est professeure auxiliaire au Département de politique et de gestion de la santé à l’Université George Washington. Ancienne haute fonctionnaire australienne, elle a été principale négociatrice pour les dispositions de l’Accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis sur les produits pharmaceutiques.

Steve Morgan est conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca et professeur de politique de santé à l’École de la population et de la santé publique de l’Université de la Colombie-Britannique.


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