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Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil 

Les propositions du ministre des Finances Bill Morneau visant le resserrement des allégements fiscaux associés aux sociétés privées soulèvent toutes sortes de réactions dans les médias sociaux et les médias traditionnels. On entend beaucoup de propos sans fondement affirmant que ces propositions sont une attaque tous azimuts de la classe moyenne, du congé de maternité pour les femmes médecins au petit magasin familial du coin, en passant par les agriculteurs.

Les voix qui se font moins entendre cependant, mais qui ont probablement beaucoup plus de poids, sont celles de nombreux économistes et professionnels de la fiscalité et de la comptabilité qui analysent avec sérieux le document de consultation. Même ceux d’entre eux qui s’opposent fortement au resserrement fiscal offrent des conseils détaillés et constructifs.

Or, dans ce débat, on entend très peu les voix qui défendent l’idée de l’équité fiscale.

Une nouvelle coalition pour l’équité fiscale des petites entreprises a écrit une lettre à M. Morneau pour s’opposer aux réformes, affirmant que « les deux tiers des propriétaires de petites entreprises gagnent moins de 73 000 $ par année et que la moitié d’entre eux gagnent moins de 33 000 $ ». Les magiciens appellent cette manœuvre « faire diversion », mais dans ce cas, appelons cela une déformation : les chiffres sont justes, mais ils ne concernent pas le débat en cours.

Même si nous ne connaissons toujours pas les détails des propositions du gouvernement, il est peu probable que les personnes qui gagnent un revenu modeste dont parlent les lobbyistes de petites entreprises soient affectées par les modifications fiscales proposées. Selon les propos du ministre des Finances, seules les personnes ayant une société privée sous contrôle canadien, ou SPCC, risquent d’être touchées.

Comme mes collègues et moi avons déjà mentionné dans une étude publiée dans la Revue fiscale canadienne l’année dernière, moins de 5 pour cent des contribuables dans la moitié inférieure du spectre du revenu, avec des revenus inférieurs à 27 500 $, possédaient une de ces entreprises privées (selon les chiffres de 2011, l’année la plus récente pour laquelle nous avions des données). Parmi les contribuables qui se trouvent dans la tranche inférieure de 90 pour cent, avec des revenus de 68 800 $ et moins, moins de 10 pour cent avaient une SPCC.

Voyons maintenant les plus hauts salariés, les gens que la coalition et d’autres critiques voudraient plutôt oublier. Près de la moitié de ceux qui se trouvent dans la tranche supérieure de 1 pour cent, avec un revenu au-delà de 163 300 $, possédaient une SPCC, tandis que plus de 70 pour cent de ceux qui se situent dans la tranche supérieure de 0,01, avec un revenu de plus de 2 305 700 $, en possédaient une.

Exiger que les millionnaires qui utilisent leur SPCC pour une planification fiscale méticuleuse payent plus d’impôts n’est certainement pas une attaque contre la classe moyenne ou le petit magasin de coin.

La Coalition pour l’équité fiscale des petites entreprises, de concert avec les nombreuses autres voix qui cherchent à se faire entendre, avance que les propriétaires de SPCC devraient également avoir le droit d’accumuler de la richesse dans leurs entreprises privées après avoir payé seulement le taux d’imposition de 15 pour cent, puis passer cette richesse à la « prochaine génération » (leurs enfants) en franchise d’impôt. Or, est-il juste que les propriétaires de SPCC puissent multiplier par trois, quatre ou cinq fois pour une seule entreprise l’exemption à vie pour gains en capital de 800 000 $ et plus, une pratique à laquelle le ministre Morneau cherche à mettre fin dans ses propositions? Une exonération à vie ne devrait-elle pas suffire? Cette exonération est même une réduction d’impôt beaucoup plus avantageuse que ce qu’obtiennent les contribuables qui n’ont pas de SPCC. Et si vous possédez une SPCC, vous devez d’abord être passablement riche pour avoir des gains en capital de cet ordre.

Il serait utile de comparer le discours public sur l’iniquité du taux d’imposition pour les riches et les pauvres. Dans les cas de sociétés privées, un certain nombre de particuliers ayant un revenu élevé sont confrontés à la possibilité que leur taux d’imposition marginal réel puisse passer de 15 pour cent (s’ils ont réussi à répartir les dividendes entre les membres de la famille qui n’ont pas à payer d’impôt sur le revenu sur ces dividendes) à un maximum d’environ 50 pour cent, soit le même taux d’impôt que tous les autres salariés à revenu élevé qui ne possèdent pas de SPCC paient sur leurs traitements, salaires et revenus de travail autonome.

Certains professionnels de l’impôt élaborent des exemples pour démontrer de manière erronée que les propositions de M. Morneau porteraient les taux d’imposition des petites entreprises de 80 à 93 pour cent. Or, ces exemples se fondent sur une folle hypothèse voulant que les propriétaires de SPCC ne réorganisent pas leurs affaires, par exemple, en versant simplement leurs revenus de sociétés privées comme salaires, ce qui les ramènerait au taux d’imposition le plus élevé de 50 pour cent.

Dans un autre ordre d’idée, il existe des centaines de milliers d’aînés à faible revenu qui ont des taux d’imposition marginaux de 75 à 100 pour cent et même plus élevés, ce qu’on appelle le piège de la pauvreté, qui persiste depuis des décennies. Qui entend leurs voix? Qui les défend?

Pourquoi les taux d’imposition de 100 % sont-ils acceptables pour les personnes âgées à faible revenu, alors que les contribuables dans la fourchette des 1 % des revenus les plus élevés sont frappés d’apoplexie lorsque le ministre des Finances propose de ramener leurs taux d’imposition à celui de tous les autres contribuables qui ont un revenu élevé?

Bien sûr, les propositions de M. Morneau sont toujours sur la table à dessin. Il s’agit d’un domaine complexe du droit fiscal, et la consultation est évidemment importante. Or, les voix les plus bruyantes ne sont pas neutres. Ce sont celles des personnes qui ont les plus grands intérêts, et ces intérêts ne concordent pas nécessairement avec ceux des personnes qu’ils prétendent représenter.

 

 

Michael Wolfson est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et membre du Centre de droit, politique et éthique de la santé à l’Université d’Ottawa. Il a présidé une Chaire de recherche du Canada dans le même établissement. Il a auparavant occupé le poste de statisticien adjoint en chef à Statistique Canada.

novembre 2017


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