Une version de ce commentaire est parue dans Le Droit et Le Huffington Post Quebec

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Tout a commencé autour d’une tasse de café. Comme médecin de famille et endocrinologue, nous nous trouvons l’une et l’autre de chaque côté d’un grand fossé appelé « temps d’attente des patients » et nous voyons, toutes deux, nos patients s’y perdre de plus en plus.

Dans son rôle de médecin de famille, Dre Liddy est témoin du temps qu’il faut pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste. Pour sa part, Dre Keely voit des patients attendre des mois pour un rendez-vous avec elle comme endocrinologue, souvent pour des problèmes que leur médecin de famille aurait pu traiter moyennant quelques conseils.

Nous avons pensé qu’il y avait sûrement un meilleur moyen, un chemin plus rapide qui pourrait épargner les longs mois d’attente avec lesquels les patients doivent trop souvent composer.

De cette conversation une solution innovatrice est née : au lieu que le médecin de famille renvoit chaque fois un patient à un spécialiste pour une question de soins, il pourrait communiquer lui-même directement avec un spécialiste compétent. Dans certains cas, le spécialiste pourrait guider le médecin de famille, épargnant ainsi au patient une attente interminable pour un rendez-vous. Par la même occasion, d’importantes ressources du système de santé publique déjà mal en point pourraient être mieux utilisées.

Grâce aux subventions publiques et au soutien des partenaires régionaux, notamment le Réseau local d’intégration des services de santé de Champlain et l’Hôpital Memorial du District de Winchester, nous avons créé le service de consultation électronique BASE de Champlain : une plateforme en ligne sécurisée qui permet aux fournisseurs de soins primaires de poser des questions sur les soins à apporter au patient. Les spécialistes répondent en sept jours, le temps de réponse moyen étant de deux jours, et ils offrent des conseils sur les soins à prodiguer au patient, des recommandations pour renvoi à un spécialiste ou des demandes de renseignements supplémentaires.

Huit ans après sa fondation, le service de consultation électronique a permis de traiter plus de 30 000 cas, recruté plus de 1 300 fournisseurs de soins primaires et permis à des milliers de patients de recevoir des soins de haute qualité, sans avoir à attendre un rendez-vous en personne avec un spécialiste.

D’autres pionniers venant de plusieurs provinces se sont associés à nous pour offrir le modèle de consultation électronique BASE dans leurs administrations, et le gouvernement de l’Ontario s’est récemment engagé à étendre le service à l’ensemble de la province.

Le service est passé du stade de projet pilote à un projet bien implanté, ce qui n’est pas une mince affaire dans le système de santé canadien, souvent inflexible et rigide. Au fil des ans, nous avons tiré un certain nombre de leçons importantes sur la création et la mise en œuvre d’innovations en matière de soins de santé qui, trop souvent, ne vont pas plus loin que la phase d’essai initiale.

1. Faire le lien entre la recherche et la pratique

Les innovations qui font du chemin sont fondées sur des preuves solides, et ces données proviennent de recherches rigoureuses. Or, la recherche à elle seule ne peut pas créer de service, et de nombreuses innovations prometteuses restent confinées au stade théorique, dans des revues académiques, certes de précieuses sources d’information, mais qui ont rarement des répercussions en dehors de leurs cercles immédiats. Pour concrétiser un projet, il faut se tourner vers les personnes responsables de mise en œuvre : les cliniciens, les décideurs et surtout les patients qui ont leur mot à dire.

2.  La technologie, un outil et non un maître

Nous avons d’abord créé le service de consultation électronique pour résoudre un problème : un accès difficile aux soins spécialisés. Notre solution à ce problème englobait la technologie, mais en choisissant cette voie, nous sommes restés centrés sur l’objectif, soit d’améliorer l’accès pour les patients. En gardant nos distances avec la technologie utilisée, nous nous sommes assurés de choisir, au final, la meilleure plateforme pour le travail et ainsi éviter d’être contraints par les limites d’un programme ou d’un fournisseur particulier.

3.  Être flexible, mais centré

La mise en œuvre est un processus continu, et l’adaptation à de nouveaux faits ou à des besoins changeants est vitale. Par exemple, dans les premiers temps du service, nous avons envisagé de construire le service autour d’une messagerie. Cependant, la législation ontarienne sur la protection de la vie privée n’autorise pas la transmission de données de patients par courriel, car elle est trop peu sécurisée. Nous sommes donc passés à une plateforme dotée de mesures de sécurité plus strictes.

Bien que ce genre d’ajustements soient inévitables et doivent être traités dans la foulée, l’objectif global de l’innovation doit être au centre de sa mise en œuvre. De nombreux programmes souffrent d’un élargissement progressif de leur champ d’action, ce qui peut diluer leur incidence sur l’objectif visé au départ.

4.  Savoir prendre des risques

Dans la recherche, l’échec est souvent préférable à l’inaction, car il procure des leçons sur la façon de s’améliorer, tandis que l’inaction ne nous apprend rien. Les erreurs sont inévitables, et le meilleur moyen d’en tirer des leçons est d’obtenir une rétroaction en continu des prestataires et des patients qui utilisent ou bénéficient du service.

Dès le départ, nous avons constaté l’impact positif du service de consultation électronique sur les soins aux patients et espérons qu’un jour chaque Canadien pourra éviter les effets de périodes d’attente excessives, qui vont de l’inconfort à la détérioration de la santé, et bénéficier d’un meilleur accès aux spécialistes.

 

La Dre Clare Liddy est clinicienne chercheuse au Centre de recherche C.T. Lamont en soins de santé primaires de l’Institut de recherche Bruyère, une chaire de niveau 2 et professeure agrégée au Département de médecine familiale de l’Université d’Ottawa. Elle pratique la médecine familiale et agit comme experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca.  

La Dre Erin Keely est endocrinologue à l’hôpital d’Ottawa, professeure au Département de médecine de l’Université d’Ottawa et clinicienne chercheuse à l’Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa.

Decembre 2017

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