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Il faut améliorer la prestation des soins d’hygiène dentaire dans les hôpitaux, le secteur des soins à domicile et les services de longue durée

Une version de ce commentaire est parue dans Huffington Post Quebec

Our health system neglects the oral health of dependent seniors with tragic consequences copy

Il y a quelques années, un professeur d’université à la retraite s’est présenté dans mon cabinet. Il était en bonne santé et avait un beau sourire. Il n’avait pas consulté de dentiste depuis plus de cinq ans, en partie parce que son départ à la retraite avait signifié la fin de son régime d’assurance dentaire; sans surprise, il nécessitait des soins. Il avait conservé la majorité de ses dents naturelles, mais j’ai dû procéder à deux extractions en raison d’une gingivite à un stade avancé et prodiguer quelques soins de routine mineurs. Son cas n’était pas inhabituel pour un individu de 76 ans. Il n’avait toutefois aucune raison de craindre de perdre ses autres dents, à condition qu’il veille à son hygiène buccodentaire.

Je n’ai pas revu ce patient pendant trois ans. Lorsqu’il est revenu me voir, sa dentition était dans un état lamentable.

Peu après notre premier rendez-vous, le professeur avait subi un accident vasculaire cérébral. Il avait passé 18 mois dans un centre de soins actifs et de réadaptation, après quoi il avait reçu des soins à domicile pendant plus d’un an. Cette fois-ci, nous n’avons réussi à préserver que quatre de ses dents, car toutes les autres étaient rongées par la carie et la gingivite.

Si la spirale descendante vécue par le professeur peut nous sembler dramatique, les histoires comme la sienne sont de plus en plus fréquentes chez les adultes âgés.

Comme bien d’autres personnes de sa génération, celui-ci avait probablement profité tout au long de sa vie des effets protecteurs de l’eau fluorée et du dentifrice. Il jouissait d’une bonne éducation et d’un bon emploi assorti d’un régime d’assurance dentaire. Pour toutes ces raisons, il n’était pas destiné à porter un dentier à un âge avancé.

Que s’est-il passé?

Pour citer un titre récent du New York Times : « L’âge apporte sa bouchée de problèmes ». Il y a, hélas, beaucoup de vrai dans cette phrase. À partir du jour où mon patient a pris sa retraite et perdu son assurance dentaire, il a cessé de consulter régulièrement son dentiste, et ce, probablement à l’âge où il en aurait eu le plus besoin. Après son accident vasculaire, il n’a eu d’autre choix que de dépendre, pour obtenir les soins d’hygiène dentaire de routine dont il avait besoin, des établissements chargés de lui prodiguer des soins actifs, de réadaptation et, plus tard, continus.

Au Canada, ces milieux de soins sont connus pour le caractère inadéquat, en matière de santé buccodentaire, de leurs infrastructures et des normes qu’ils appliquent. Dans un plaidoyer au nom d’un être cher dont elle prend soin, l’infirmière à la retraite Lillian Sutherland, de la Nouvelle-Écosse, a récemment invité les gens dans la même situation à « vérifier l’état des dents de leur proche. Est-il concevable de ne pas brosser les dents d’une personne pendant des mois, voire jamais? » C’est pourtant la réalité pour un trop grand nombre de Canadiens et Canadiennes.

La bouche a pour fonction de maintenir l’organisme en bonne santé – c’est par elle que nous mangeons, buvons et respirons. Elle nous permet aussi de jouir des plaisirs de l’existence, comme mener une vie sociale et communiquer avec les gens autour de nous. Or dans notre système de santé public, la bouche est traitée, du point de vue de la santé générale et personnelle, comme une partie séparée du corps. Il s’agit d’un problème à double tranchant pour le nombre croissant de personnes fragilisées et dépendantes.

Même s’il fait l’objet d’une attention croissante, ce problème ne découle pas seulement de la difficulté à accéder à des services professionnels à l’extérieur des structures publiques. Souvent, les crises sont tout simplement imputables au fait qu’on a échoué, au sein même des établissements publics et des programmes, à dispenser aux personnes âgées les soins d’hygiène dentaire quotidiens requis.

À première vue, le brossage des dents et l’usage de la soie dentaire peuvent sembler des tâches banales. Lorsqu’il s’agit de les prodiguer à une autre personne, toutefois, ce sont des soins qui exigent une habileté particulière, les bonnes ressources, ainsi que la volonté de faire en sorte qu’ils sont bien exécutés et sur une base régulière.

Certains investissent des efforts pour répondre à ces besoins. Par exemple, l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario a élaboré des lignes directrices sur les pratiques exemplaires en matière de santé buccodentaire. Elles visent à répondre aux besoins quotidiens chez les adultes dépendants et s’adressent à différents secteurs, dont ceux des soins actifs, des soins en établissement et des soins communautaires.

En Nouvelle-Écosse, un programme appelé Brushing up on Mouth Care traduit les meilleures pratiques en matière de soins buccodentaires sous la forme de trousses d’information et de ressources accessibles. Son but est également d’améliorer la prestation de soins dans un large éventail de milieux.

Malgré tout, tant et aussi longtemps que les ministères provinciaux de la Santé n’adopteront pas de véritable politique sur l’évaluation de la santé buccodentaire et la planification des soins dans chacun des secteurs concernés, ce volet essentiel des soins personnels restera le parent pauvre du système de santé.

Les professionnels des domaines de la médecine, des soins infirmiers, de la dentisterie, de la réadaptation et des soins continus pourraient contribuer grandement, en exerçant des pressions dans ce dossier, à améliorer la qualité de vie de leurs patients, de leurs clients ainsi que de leurs proches.

 

Mary McNally est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, professeure aux facultés de dentisterie et de médecine (bioéthique) de l’Université Dalhousie à Halifax et membre du Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées. Ses travaux de recherche clinique et scientifique portent principalement sur la mise au point de solutions pragmatiques et de recommandations stratégiques destinées à redresser les inégalités et à améliorer l’accès des populations vulnérables aux soins buccodentaires.


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