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De nombreux rapports produits récemment au Canada dressent un sombre portrait de la viabilité future du système de soins de santé canadien. Ces rapports décrivent tous la situation à peu près dans ces termes : l’augmentation des coûts en santé est inexorable et l’accroissement des soins causé par le vieillissement de la population pourrait entraîner une faillite de notre système de santé.

Nous sommes clairement devant la nécessité de faire des choix. Ceux que nous avons faits dans le passé sont à l’origine de la situation difficile actuelle, mais il demeure possible de surmonter celle-ci avec de meilleurs choix, des analyses plus approfondies et une volonté politique véritable.

Afin de progresser dans ce sens, nous devons revoir et contester certaines hypothèses erronées, mais profondément ancrées, concernant le système de soins de santé canadien. Contrairement à ce que nombre de personnes croient actuellement, la croissance de la proportion du budget des provinces consacrée aux soins de santé n’est en rien le reflet d’une crise nationale touchant les soins de santé.

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que le pourcentage du PIB consacré aux soins de santé au Canada ne s’est accru que de façon modeste (il est passé de 10,0 % en 1992 à 10,5 % en 2007, avant la crise financière de 2008 qui a eu un effet négatif sur la croissance du PIB). Aucune crise n’est donc perceptible dans les données nationales.

Il est possible de comprendre l’augmentation du pourcentage du PIB que représentent les soins de santé de deux façons. On peut premièrement l’envisager comme un problème de coût concernant les soins de santé. On peut deuxièmement y voir une difficulté pour le gouvernement et le secteur privé d’augmenter le taux de croissance du PIB en faisant croître l’économie.

Une deuxième hypothèse erronée consiste en l’idée que l’accroissement du nombre de personnes âgées entraînera une faillite du système de soins de santé. Cet argument a été largement réfuté, entre autres par la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS) et le Conseil canadien de la santé, qui ont tous deux souligné que le vieillissement de la population se traduira par une hausse annuelle de moins d’un pour cent du coût des soins de santé,  ce qui demeure gérable.

Mais qu’est-ce qui dans les faits provoque l’augmentation des dépenses en santé? Selon les données, les principaux facteurs d’accroissement des coûts sont les hautes technologies, une utilisation accrue des services au sein de toutes les tranches d’âge et les hausses de salaire.

Avec de la volonté politique, ces trois facteurs peuvent être contrôlés au moyen de politiques ou d’interventions administratives. Il ne s’agit en effet pas de facteurs externes sur lesquels on ne peut avoir aucune prise, comme l’accroissement de la population. Le problème auquel nous sommes confrontés est donc celui de trouver de meilleures pratiques de gestion et des politiques plus efficaces, et non une augmentation incontrôlée des coûts due à l’évolution de la situation démographique.

Des économies et de meilleurs soins grâce à des systèmes intégrés de soins de santé

Il est possible d’offrir de meilleurs soins et de réduire les coûts en adoptant de meilleures politiques. On peut par exemple y arriver en mettant en place des systèmes plus intégrés et efficaces de prestation des soins aux aînés et aux personnes handicapées.

Nous disposons à ce jour de nombreuses données indiquant que, pour des personnes ayant des besoins similaires, les soins à domicile sont moins coûteux que les soins en établissement, en plus d’être généralement plus adaptés aux besoins du patient. Toutefois, nous arriverons à faire de véritables économies seulement si nous adoptons des systèmes de soins intégrés qui se veulent un compromis entre les services de soins à domicile, peu coûteux, et ceux des centres de soins de longue durée, qui sont plus onéreux. À ce titre, il existe actuellement au Canada d’excellents modèles de soins intégrés qui pourraient être adoptés à grande échelle.

Durant la décennie s’étendant du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, la Colombie-Britannique a mis sur pied un système intégré qui a permis de restreindre la croissance du nombre des lits de soins de longue durée et d’investir de nouvelles sommes dans les soins à domicile, ce qui a donné lieu à une économie annuelle des coûts prévus d’environ 150 millions de dollars. Également, des articles récents de chercheurs universitaires, la FCRSS et le Comité spécial d’enquête sur la gérontologie ont tous réclamé l’adoption de systèmes intégrés de prestation des soins aux aînés.

La plupart de nos politiques actuelles mettent principalement l’accent sur les soins à domicile de courte durée destinés à remplacer les soins hospitaliers, tandis que ce sont en grande partie les soins de soutien non professionnels qui généralement permettent aux patients de conserver leur autonomie.

Bien qu’ils rendent possible un départ plus rapide de l’hôpital par la porte d’en avant, les soins à domicile de courte durée n’offrent aucune garantie que les patients ne devront pas y revenir par la porte d’en arrière. Certains aînés vivant dans leur maison ou leur appartement finissent en effet par retourner à l’hôpital parce qu’ils cessent d’être en mesure de s’occuper d’eux-mêmes lorsque prennent fin les services de soutien à domicile qui leur étaient offerts. Ces retours à l’hôpital peuvent entraîner une augmentation du coût global des soins.

Il ne s’agit pas d’un argument théorique. Une étude de la Colombie-Britannique a démontré que les personnes ayant besoin, selon l’évaluation d’une infirmière, d’aide à domicile en raison d’un état de santé fragile, et pour qui cette aide a été interrompue, coûtent beaucoup plus cher au système de santé après trois ans que les personnes vivant dans un milieu similaire, ayant un état de santé comparable et ayant pu conserver un niveau modeste de services de soutien à domicile durant la même période.

Les modèles de soins intégrés permettent d’économiser de l’argent et d’offrir des soins meilleurs et mieux adaptés.

Les coûts exercent une pression évidente sur notre système de santé, mais il est encore trop tôt pour se laisser décourager par la perspective d’un effondrement de ce système et de sa viabilité. Les données indiquent clairement qu’il est possible de trouver des solutions de rechange peu coûteuses permettant d’optimiser considérablement les ressources de notre système de soins de santé.

Donnons-nous au moins le temps d’essayer de rétablir la situation, et ensuite seulement nous verrons si les sombres prévisions annonçant la fin de notre régime d’assurance-maladie sont toujours valables. Il est impératif que nous passions d’un discours selon lequel il faut toujours plus d’argent pour les soins de santé à un discours axé sur la recherche de meilleures façons d’optimiser les ressources que nous consacrons déjà au système de santé.

Neena Chappell est professeure au Centre du vieillissement et au département de sociologie de l’Université de Victoria. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gérontologie sociale, présidente de l’Association canadienne de gérontologie et présidente désignée de l’Académie II (Sciences sociales) de la Société royale du Canada.

Marcus J. Hollander est un chercheur en politiques et services de soins de santé à l’échelle nationale. Neena et Marcus œuvrent tous deux à titre d’experts-conseils auprès d’EvidenceNetwork.ca, une ressource en ligne complète et indépendante mise sur pied afin d’aider les journalistes à mieux couvrir les enjeux liés à la santé au Canada.

novembre 2011


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