Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil et Le Droit

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THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck

Vous cherchez un nouvel emploi? La Société canadienne des postes recherche un nouveau président-directeur général. Avant de poser votre candidature, toutefois, réfléchissez longuement.

La nouvelle recrue aura à relever le formidable défi de la gestion, en cette ère numérique, des handicaps de Postes Canada sur le plan de l’exploitation, du financement et de la gouvernance, tout cela sous l’œil scrutateur du public et dans un contexte hautement politisé.

Aussi banale qu’elle puisse paraître, la livraison du courrier et des colis a une portée politique pour le gouvernement fédéral. Parmi ses activités, c’est en effet l’une des rares à avoir une incidence tangible sur la vie quotidienne de la population. Tout problème de distribution du courrier parvient rapidement aux oreilles de nos élus. Les cas de mauvais service à la clientèle ou les erreurs commises par l’entreprise font également les manchettes.

Postes Canada détient le monopole du service postal au Canada, une situation qu’on peut considérer comme un avantage ou une malédiction selon le point de vue où l’on se place. L’obligation d’assurer un service universel imposée par le fédéral signifie que la Société doit desservir toutes les adresses sans exception, peu importe ce qu’il en coûte.

L’une de ses missions fondamentales consiste ainsi à garantir la livraison du courrier et des colis dans les régions rurales et les petites municipalités, c’est-à-dire là où le secteur privé est peu présent. Ces services sont financés à partir d’autres secteurs d’activité de la Société. Les pertes encourues sont compensées par les revenus des services de messagerie et de livraison de colis en zone urbaine et ceux de Purolator Courrier Ltée, sa filiale en propriété exclusive.

Dans ce cas, où est le problème?

Le fait qu’un exploitant public monopolise des parts de marché doit déplaire à bon nombre d’entreprises de logistique du secteur privé. Bien organisées et influentes, certaines cherchent bien souvent à contrecarrer ses projets de développement commercial.

Sur le plan de l’exploitation, Postes Canada fait également face à des défis structurels majeurs. Les volumes de courrier par adresse affichent une baisse de 5 % à 8 % par an. Son régime de retraite accuse un déficit de plusieurs milliards de dollars. Ajoutons à cela la menace imminente que représente le projet de certains grands détaillants en ligne d’investir le secteur du transport dans le but de couper l’herbe sous le pied des intermédiaires.

Puis il y a le syndicat. Postes Canada a connu plusieurs conflits par le passé et les relations de travail continuent d’être difficiles.

Par ailleurs, certains membres de la fonction publique à Ottawa ont une piètre compréhension de la valeur des sociétés d’État et des défis qu’elles affrontent. Les problèmes de Postes Canada ne suscitent probablement pas beaucoup d’empathie au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement, dont elle relève, ni au Conseil du Trésor ou au ministère des Finances. Les fonctionnaires les plus âgés se souviendront peut-être de la grande réussite de la privatisation des Chemins de fer nationaux du Canada et certains d’entre eux pourraient même espérer que les sociétés d’État restantes suivent la même voie.

Du point de vue de la gouvernance, Postes Canada connaît quelques difficultés avec son unique actionnaire. Son plan de modernisation du système de livraison est au point mort. Pour gagner la faveur de leurs électeurs, les Libéraux ont mis le holà au projet de supprimer la livraison à domicile (près d’un tiers des foyers) et d’installer des boîtes postales communautaires. Les changements prévus lui auraient permis de réduire ses dépenses d’exploitationde quelque 400 millions de dollars par an et de supprimer de 6000 à 8000 postes par attrition, vu l’âge relativement élevé de sa main-d’œuvre.

Quelqu’un devra assumer le coût de la livraison à domicile et il est peu probable que le fédéral s’engage à en payer la note annuelle. Postes Canada ne peut pas non plus emprunter pour couvrir cette dépense particulière. Les ressources nécessaires pour l’absorber devront donc provenir de ses autres secteurs d’activité.

Que pourra faire le nouveau président-directeur général pour extirper l’organisation de ce guêpier? L’évolution de la société Australia Post (AP) pourrait lui offrir quelques bonnes idées.

Tout comme Postes Canada, Australia Post fournit des services à une population de petite taille dispersée sur un vaste territoire. Afin de desservir les régions éloignées, elle doit aussi recourir à l’interfinancement en utilisant les revenus de ses autres secteurs d’activité.

Comment la société Australia Post s’en est-elle sortie? Elle a rationalisé son exploitation. Elle engrange aujourd’hui des revenus supplémentaires en proposant un éventail diversifié d’autres services, notamment financiers. Après des années de climat acrimonieux, elle est parvenue à apaiser ses relations avec ses travailleurs syndiqués. De plus, elle compte sur un effectif moindre, toutes proportions gardées, pour mener à bien ses activités; elle arrive à couvrir ses dépenses d’immobilisation et verse des dividendes à l’État.

Le nouveau PDG de Postes Canada aurait donc avantage, au moment de planifier sa feuille de route, à s’inspirer des solutions mises en œuvre en Australie.

À bien des égards, les difficultés que connaît Postes Canada sont les mêmes dans toutes les sociétés d’État. Celles-ci doivent trouver un équilibre entre les buts, souvent contradictoires, fixés par leur actionnaire unique, entre autres intérêts. Elles doivent aussi répondre à des impératifs commerciaux et, de manière plus importante encore, à des objectifs politiques parfois opposés. Les cadres qui les dirigent doivent sans doute envier à leurs homologues du secteur privé la simplicité de leur tâche, c’est-à-dire « maximiser les profits ».

En résumé, le nouveau PDG de Postes Canada devra posséder un sens aigu de la politique, des affaires et de la diplomatie pour être en mesure de guider l’organisation vers un avenir durable.

 

Malcolm G. Bird est professeur de sciences politiques à l’Université de Winnipeg et collaborateur du site EvidenceNetwork.ca.


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