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Une version de ce commentaire est parue dans Le Droit et Le Huffington Post Québec

Pourquoi nos gouvernements doivent s’attaquer dès maintenant à la pauvretéLes Canadiens pourraient être surpris d’apprendre que 86 familles détiennent aujourd’hui à elles seules une plus grande part de la richesse que les 11,4 millions de Canadiens les plus pauvres. Y a-t-il de quoi être fiers de ce Canada ? Loin de là.

Selon de nombreuses études, le taux de pauvreté au Canada demeure élevé. Un récent rapport de l’OCDE indique que la part des revenus dont bénéficient les nantis a encore augmenté. Et une nouvelle étude réalisée par trois importants chercheurs canadiens révèle que les riches dissimulent l’ampleur réelle de leurs avoirs individuels au moyen de sociétés privées, ce qui signifie qu’ils sont encore plus riches que nous le croyions.

Pourquoi devrions-nous nous préoccuper de cette situation ?

Parce qu’à long terme, la pauvreté et les inégalités font du tort à l’ensemble d’entre nous. Elles érodent la cohésion sociale et augmentent le fardeau de tous les contribuables, qui doivent assumer les coûts de la réduction de la pauvreté, des services de santé, du chômage, de la criminalité et de l’itinérance.

Notre système économique et notre bien-être risquent de subir une détérioration grave si nous ne réagissons pas rapidement.

Voici ce que les données indiquent en ce qui a trait aux conséquences désastreuses de la pauvreté : une dégradation de l’état de santé de la population, un accroissement des maladies chroniques, un plus grand nombre de décès évitables, une augmentation des injustices sociales, une demande accrue de soins de santé et une hausse des coûts de ces soins, et une réduction de la productivité de la main-d’œuvre. Sur une vaste échelle et à long terme, les inégalités peuvent aussi entraîner un ralentissement de l’économie et un effritement de la démocratie, et compromettre la stabilité politique et sociale.

Ceux qui se situent dans la moitié inférieure de la hiérarchie économique et dont les revenus stagnent éprouvent un ressentiment grandissant et sont de plus en plus envieux, perdent graduellement espoir et ont de moins en moins confiance en leurs dirigeants économiques et leur gouvernement. Cette situation donne lieu à des contestations sociales telles que le mouvement Occupons.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Pendant des années, la plupart des gouvernements canadiens ont appliqué une politique d’austérité. Ils ont baissé les impôts et effectué des compressions dans les programmes sociaux dans le but d’équilibrer leur budget, tout en se concentrant sur la croissance économique et en favorisant une économie fondée sur les effets de retombée. Le rapport 2014 du Bureau du directeur parlementaire du budget indique que la réduction de l’impôt sur le revenu, de la TPS et de l’impôt des entreprises, entre autres, aurait pour effet de réduire de 30 milliards les recettes annuelles du gouvernement. Dans la plupart des cas, ce type de politiques a entraîné une diminution de l’aide au revenu des personnes démunies ainsi que des investissements insuffisants dans le logement social, le développement de la petite enfance, l’éducation, les soins de santé et les infrastructures (le programme fédéral de stimulation économique mis en place au lendemain de la récession de 2008 fait ici figure d’exception).

Les riches se sont enrichis grâce à l’augmentation du taux de rendement du capital (sur les revenus), aux allègements fiscaux sur les gains en capital et les successions des mieux nantis et à une surveillance inadéquate des activités bancaires extraterritoriales.

Le très renommé économiste Thomas Piketty fait remarquer que ces lacunes de notre système économique ne sont pas une raison d’abandonner le système lui-même, qui a grandement favorisé l’innovation et la création de richesse. La solution consisterait plutôt à modérer les excès du système pour que la richesse soit plus équitablement répartie dans l’ensemble de la population. Même le FMI, qui a défendu les politiques d’austérité pendant des décennies, a récemment affirmé que l’accroissement des inégalités était mauvais pour les économies et qu’une judicieuse redistribution favorisait la croissance économique.

Les recherches ont montré que des pays comme l’Islande, la Pologne et la Suède, qui ont investi au cours de la dernière décennie dans les programmes sociaux tels que la santé et l’éducation ont enregistré une meilleure reprise à la suite de la récession que ceux qui avaient adopté des politiques d’« austérité ».

Pour désigner ce dont nous avons besoin, les économistes parlent d’« une approche judicieuse axée sur la redistribution », ce qui signifie un accroissement des revenus des gouvernements au moyen des ressources naturelles, de l’imposition des mieux nantis (revenus, successions, capital), de la réglementation des paradis fiscaux et de taxes sur les effets externes comme la pollution, le tabac, l’alcool et le sucre. Les gouvernements devraient consacrer ces revenus à des investissements sociaux comme l’aide au revenu, l’éducation, la santé et les infrastructures.

Le milieu des affaires a lui aussi un rôle à jouer. Les entreprises peuvent aider à réduire la pauvreté et les inégalités en payant leur part d’impôt, en misant sur un triple rendement (les gens, la planète et les profits), en offrant un salaire décent à leurs employés et en instituant des politiques de copropriété et de partage des profits. Les citoyens, en tant que consommateurs, peuvent voter avec leur portefeuille en soutenant les entreprises progressistes.

Notre inaction nous coûte très cher. Il serait moins coûteux pour les contribuables d’éliminer la pauvreté que de continuer à payer pour les activités de maintien de l’ordre, les rectificatifs, le logement et les soins de santé découlant de la pauvreté. En Colombie-Britannique, le coût estimé de la mise en œuvre d’un plan de réduction de la pauvreté serait de 4 millions de dollars par an, selon le Centre canadien de politiques alternatives. À l’heure actuelle, la pauvreté coûte à la province jusqu’à 9,2 milliards de dollars par an. Les entreprises et les gouvernements doivent prendre sans tarder des mesures visant à réduire la pauvreté et les inégalités. Il est temps que les citoyens préoccupés par cette situation exigent que leurs dirigeants passent à l’action.

John Millar est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et professeur clinicien à l’École de santé publique et des populations, à l’Université de la Colombie-Britannique. Il est aussi vice-président de l’Association pour la santé publique de la Colombie-Britannique (PHABC). Pour obtenir plus d’information, lisez l’énoncé de principes de la PHABC sur la pauvreté et les inégalités (en anglais).

julliet 2014

Visionnez les quatre affiches, 1, 2, 3 et 4 basées sur l’article


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