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THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick

Régler le cas du régime enregistré d’épargne-invalidité et corriger l’écart de pauvreté des Canadiens handicapés

 

Le Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI) du Canada est le premier outil de lutte contre la pauvreté pour les personnes handicapées dans le monde. Cet exemple remarquable de coopération fédérale, provinciale et territoriale, créé en 2008, a permis d’améliorer la vie de plus de 150 000 Canadiens handicapés.

Malheureusement, le REEI n’atteint que 29 pour cent des personnes admissibles. Et en raison des restrictions imposées par l’Agence du revenu du Canada (ARC), de nombreux Canadiens handicapés, vivant en situation de pauvreté, ne peuvent s’en prévaloir. Pour qu’un changement se produise, deux choses sont essentielles : l’administration du REEI et du crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH) ne doit plus relever de l’ARC, et une action nationale coordonnée s’impose pour éliminer le lien entre handicap et pauvreté.

Le REEI comprend trois éléments : les contributions individuelles, familiales ou communautaires, des subventions fédérales de contrepartie et un bon pour l’épargne-invalidité de 1000 $ par année. Pour être admissible, un particulier doit d’abord être admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées. C’est là, le nœud du problème.

L’ARC détermine qui a un handicap et qui n’en a pas. Le résultat : les personnes atteintes d’autisme, de diabète de type 1, de lésions cérébrales et de maladies mentales se voient trop souvent refuser le crédit d’impôt, même si elles ont droit à d’autres prestations d’invalidité à l’échelle provinciale et territoriale. D’autres encore voient leur admissibilité annulée par l’ARC et on leur réclame le remboursement des contributions fédérales versées dans leur REEI.

L’ironie de l’ARC, une agence créée pour s’attaquer à la fraude fiscale, qui maintient les personnes handicapées dans la pauvreté, n’échappe pas aux familles qui ont initialement proposé le REEI. Je le sais parce que je suis le père d’une fille ayant un handicap, et j’étais parmi ces familles à chaque étape de la campagne pour la création du REEI.

Ensemble, nous avons créé le Planned Lifetime Advocacy Network (PLAN) pour répondre à la question « Qu’arrivera-t-il à nos fils et à nos filles handicapés lorsque nous mourrons? » Notre quête d’une réponse nous a amenés à repenser aux postulats  associés au handicap.

Par exemple, l’attitude de méfiance et les mesures punitives associées au filet social des personnes handicapées maintenaient nos fils et nos filles en état de pauvreté. Ils ne pouvaient pas épargner au-delà d’un petit montant sans être disqualifiés, et si nous les soutenions financièrement, ces sommes étaient récupérées. De plus, les services aux personnes handicapées ne traitent pas de santé financière et perpétuent trop souvent involontairement l’idée que cet aspect n’est pas une question importante pour les personnes handicapées.

Nous avons conclu que l’un des plus grands obstacles à surmonter était l’équation que l’on fait entre pauvreté et handicap. Notre proposition de plan d’épargne visait deux objectifs pratiques. Premièrement, permettre aux Canadiens vivant avec un handicap de gagner ou de recevoir un revenu et d’accumuler des actifs financiers sans pénalité, récupération ni inadmissibilité à d’autres prestations gouvernementales. Deuxièmement, pouvoir se prévaloir de ce revenu selon les besoins.

Dix ans plus tard, il est clair que la liberté financière pour les Canadiens handicapés fait une grande différence. Je vois une fierté et une confiance manifestes chez les personnes que je rencontre partout au Canada et qui ont un REEI. Elles me disent qu’elles peuvent maintenant rêver et commencer à avoir le contrôle de leur destinée.

Les provinces et les territoires on créé un précédent en éliminant certains des aspects de l’aide sociale qui touche la vulnérabilité des personnes. Les gouvernements partout au pays ont essentiellement dit aux personnes handicapées et à leurs familles : « Nous vous faisons confiance pour dépenser les revenus tirés de votre REEI selon ce que vous croyez être le meilleur. Vous n’avez pas à faire de déclaration ni à vous justifier. »

Or, le REEI n’est qu’un outil parmi tant d’autres dont les Canadiens handicapés ont besoin, car ils sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les autres Canadiens.

Voici donc quatre recommandations pour améliorer le REEI et sortir les Canadiens handicapés de la pauvreté.

Premièrement, une personne devrait être inscrite d’office au REEI lorsqu’elle devient admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées ou reçoit des prestations d’invalidité provinciales et territoriales et de l’aide. Si on a déjà satisfait aux critères d’admissibilité aux prestations d’invalidité provinciales et territoriales, cela devrait suffire pour être admissible aux prestations fédérales.

Deuxièmement, retirer toutes les responsabilités de l’ARC en ce qui concerne l’évaluation et la détermination de l’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées et confier ces tâches à l’autorité du ministre responsable des personnes handicapées. Les personnes handicapées et leurs familles ne sont pas des tricheurs. L’ARC doit s’en prendre aux personnes qui fraudent ou manipulent le système fiscal, or, cette méfiance qui ne devrait pas s’appliquer dans le cas du REEI.

Troisièmement, s’assurer que la prochaine loi fédérale sur l’accessibilité aborde explicitement la pauvreté. Le REEI démontre que la citoyenneté économique est le principal facteur de l’accessibilité.

Quatrièmement, on pourrait créer un supplément de revenu de base garanti pour les Canadiens handicapés. Le programme de revenu minimum du Québec, les programmes pilotes de revenu de base de l’Ontario, la libéralisation des restrictions en matière de bien-être, le crédit d’impôt pour personnes handicapées remboursable et les améliorations au REEI tendent tous vers la nécessité d’une action nationale coordonnée.

Nous nous efforçons de combler l’écart de pauvreté pour les personnes âgées et les familles à faible revenu. Le REEI nous a montré que nous devons maintenant en faire tout autant pour les Canadiens qui ont un handicap.

 

Al Etmanski a reçu l’Ordre du Canada en partie pour son travail sur le REEI. Il a récemment fait part de ses préoccupations concernant le CIPH et le REEI au Comité sénatorial responsable des affaires sociales. Il agit comme conseiller expert auprès du site EvidenceNetwork.ca.

Avril 2018


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