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Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil et Le Huffington Post Québec

Quels problèmes la privatisation de la santé était-elle censée régler, déjà?

Les règles qui limitent le financement privé de la santé au Canada feront l’objet d’une deuxième contestation judiciaire en septembre prochain, alors que la cause du Dr Brian Day sera entendue par les tribunaux. [Note de la rédaction: la date du procès a été repoussée au mois de novembre 2015.] S’il est vrai qu’on trouve des pays qui adhèrent au principe de l’assurance-maladie universelle tout en autorisant sa cohabitation avec un régime privé (le Royaume-Uni et la Suède en sont des exemples), il importe de rappeler que des problèmes souvent très semblables aux nôtres persistent au sein de leurs systèmes de santé respectifs. 

D’après un examen des données économiques touchant les effets des régimes d’assurance privée sur les systèmes de santé publics, que Matt Townsend et moi avons réalisé récemment pour l’Encyclopedia of Health Economics, rien ne permet de conclure que les avantages vantés par ses partisans, comme la réduction des temps d’attente ou des dépenses publiques, profiteront aux personnes qui ne recourent pas au privé.

Premier constat : dans la plupart des pays, bien peu de gens souscriront à une assurance privée pour couvrir des soins déjà remboursés par le régime public. Au Royaume-Uni, par exemple, la proportion est inférieure à 10 % ; en Suède, elle est encore moindre. Tout indique que l’assurance privée n’apporte pas grand-chose au système de santé pour plus de 90 % de la population.

Les données indiquent que le temps désormais consacré par les médecins aux soins à but lucratif conduit à une réduction des services financés par l’État. Et que les cas abandonnés au système public sont parmi les plus complexes et les plus coûteux.

Par ailleurs, rien ne permet de croire que les temps d’attente dans le système public aient diminué. Ni que la présence d’un système privé ait permis de réduire les coûts du régime public. Dans les faits, on constate une augmentation réelle des coûts de la santé dans les pays où le régime fiscal subventionne les contribuables qui souscrivent à une assurance privée (comme le Canada).

Dans l’ensemble, les pays dotés d’un régime d’assurance privée restent aux prises avec des problèmes semblables à ceux qui nous préoccupent ici même au Canada, notamment sur le plan du coût et de l’accès.

Le système de santé canadien se distingue toutefois par un élément particulier : il contribue à perpétuer les inégalités, ce qui s’explique par deux hasards de l’histoire. Tout d’abord, le passage d’un système presque entièrement privé à un régime universel d’assurance-maladie, destiné dans un premier temps à couvrir les services hospitaliers, puis ceux des médecins, a laissé de grands trous en matière de couverture des soins et de financement. À titre d’exemple, les médicaments d’ordonnance continuent d’être exclus du panier de biens médicalement nécessaires.

Ensuite, notre code des impôts continue de permettre l’imposition dégressive des régimes d’assurance-maladie offerts par l’employeur. À la différence des salaires, ce type d’avantage n’est pas imposé. Cela représente un montant important : plus de trois milliards de dollars par an. Les contribuables qui se situent dans la fourchette de revenu la plus élevée (qui sont imposés à 29 %, auquel s’ajoute l’impôt provincial, ce qui donne en tout un peu plus de 40 % dans la plupart des provinces), épargnent 40 cents sur chaque dollar versé par l’employeur au chapitre de l’assurance-maladie. Par contre, ceux qui se trouvent dans la fourchette la plus basse épargnent à peine la moitié de cette somme. Il s’agit donc d’une mesure très régressive, qui contribue à creuser les inégalités dans notre pays. 

À cet égard, nous ressemblons davantage aux États-Unis qu’à d’autres pays. L’Affordable Care Act (Obama Care) vise toutefois, malgré ses lacunes, à offrir un panier de biens médicalement nécessaires beaucoup plus complet que le nôtre. En effet, celui-ci comprend au besoin des médicaments d’ordonnance et des soins de santé mentale. De plus, la loi américaine prévoit des mesures destinées à redresser les inégalités créées par des règles injustes en matière d’impôt. Ce sont là des problèmes fondamentaux qu’il faudra résoudre au Canada.

Le fait de se comparer à d’autres pays ne permet pas de trouver des solutions à tout, mais l’exercice a l’avantage de nous montrer qu’en dépit des éléments qui les distinguent, nos systèmes de santé sont aux prises avec des problèmes semblables. Les pays qui ont un régime à deux vitesses parviennent encore à offrir à leurs citoyens une qualité de soins convenable, mais ils continuent de faire face, à de nombreux égards, aux mêmes préoccupations que nous.

Pour véritablement améliorer notre système de santé, il faudra proposer autre chose que des solutions simplistes, l’expérience ayant démontré qu’elles n’ont pas abouti à grand chose ailleurs. Réduire les facteurs qui contribuent aux inégalités constituerait sûrement un bon point de départ. 

Mark Stabile est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca. Il est directeur de la School of Public Policy and Governance, professeur à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto et membre du Martin Prosperity Institute. Suivez-le sur Twitter : @StabileMark.

Mars 2014


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