Voir en Français

Il faut cesser de juger les individus et leurs habitudes alimentaires et prôner une action collective

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Repenser le diabèteLe journaliste H.L. Mencken a écrit qu’à tout problème complexe il y a une solution simple, mais mauvaise. Cette réflexion décrit bien l’attitude prédominante à l’égard du diabète de type 2, à savoir qu’on pourrait facilement endiguer le problème si les gens se décidaient enfin à bouger davantage et à manger moins. Cette conception fait fi d’un grand bassin de connaissances actuelles sur les causes de cette forme de la maladie, qui est la plus courante au Canada et en croissance rapide. Ainsi, ses victimes sont culpabilisées sans raison.

Le diabète de type 2 est une affection complexe, associée à des facteurs génétiques et environnementaux ainsi qu’aux comportements individuels. Lorsqu’on étudie le profil épidémiologique de la maladie, on constate que les gênes jouent un rôle évident. En effet, il est rare de trouver une personne atteinte qui ne compte pas un membre de sa famille qui en souffre également. Sa prévalence est plus élevée dans certaines populations, notamment chez les Premières Nations.

Chez certaines personnes qui présentent un risque génétique élevé, l’activité physique ou une saine alimentation ne seront jamais un facteur de protection, quel que soit leur degré d’adhésion à cet égard.

Un second facteur, moins connu, contribue à l’épidémie de diabète : le rôle que joue l’environnement, en particulier des éléments comme l’accessibilité piétonnière des quartiers, la sécurité alimentaire et l’accès aux installations et aux services de santé près de chez soi.

Des recherches menées à Toronto montrent que, toutes choses étant égales, les hommes qui vivent dans les quartiers les moins propices à la marche ont 32% plus de chances de souffrir de diabète que les hommes qui vivent dans les quartiers où l’on peut facilement se déplacer à pied. Le phénomène est encore plus frappant chez les immigrants récents (dont un grand nombre sont originaires de parties du monde où le risque génétique est élevé): le risque atteint 58% dans les quartiers où l’accessibilité piétonnière est moindre. Les résultats sont semblables chez les femmes : le risque augmente de 24% chez les résidentes de longue date et de 67% chez celles qui s’y sont établies depuis peu.

Il est vrai que chez les personnes à risque, les comportements qui favorisent l’obésité font augmenter celle-ci. On sait que celles qui sont à risque élevé, le fait d’améliorer son alimentation et son niveau d’activité peut réduire d’environ 60% les chances de souffrir de diabète.

Les études sur les effets des changements de comportement méritent d’être soulignées, puisqu’une légère modification du poids (une perte de 5% à 10% seulement en moyenne) apporte des bienfaits significatifs. Ces conclusions ont fait l’objet d’une large médiatisation par les organismes et les médecins de la santé publique, qui ont vu dans ces résultats un moyen d’amener les individus à réduire le risque de diabète. Toutefois, le fait d’avoir trop insisté sur l’importante de réduire son poids pourrait avoir contribué à fausser le message sur les causes de la maladie. Le temps est venu de rétablir l’équilibre.

En se contentant d’imputer les causes de l’épidémie de diabète aux comportements des individus, on nuit aux personnes qui en souffrent, car on les stigmatise (cela touche parfois même aux personnes atteintes de diabète de type 1, une maladie qui n’a rien à voir avec l’obésité).

De plus, en ciblant exclusivement les comportements individuels, les explications simplistes sur les causes du diabète comportent un danger plus grand encore. En effet, elles contribuent à détourner l’attention des approches susceptibles d’être plus efficaces et des ressources qu’on pourrait y investir.

On prévoit que d’ici l’an 2020, un Canadien sur trois souffrira de diabète ou de prédiabète. Ce chiffre montre à quel point il est important de mettre l’accent sur la prévention, tout en rappelant que des interventions individuelles ne suffiront pas à régler seules le problème.

L’exemple de la Finlande pourrait nous inspirer.

Vers la fin des années 1960, la Carélie du Nord, une province finlandaise, affichait le taux de mortalité cardiovasculaire le plus élevé jamais répertorié chez des hommes d’âge moyen. Les représentants provinciaux signèrent une pétition adressée au gouvernement national en lui demandant d’agir de toute urgence pour réduire le lourd fardeau de la maladie. Au bout d’un an, les responsables avaient instauré un programme local faisant appel à de multiples intervenants, dont les épiceries, l’industrie alimentaire et même le secteur agricole. Entre autres, on a compensé la baisse de la demande en produits laitiers à forte teneur en matières grasses en encourageant financièrement leurs producteurs à se tourner vers la culture des petits fruits.

Quel fut le résultat de cette initiative?

Le taux de mortalité cardiovasculaire a chuté de 80% en 30 ans. On a constaté en outre une réduction importante du taux d’accident vasculaire cérébral et de cancer. Ce programme exhaustif qui s’adressait à l’ensemble de la population a produit des retombées remarquables.

Serions-nous capables de répéter cette expérience au Canada? Les défis seront nombreux; il faudra peut-être, en premier lieu, combattre l’idée erronée voulant que les personnes atteintes de diabète soient seules responsables de leur sort parce qu’elles mangent trop et ne bougent pas assez.

Le diabète est une maladie complexe; les approches simplistes ne font que retarder la mise en œuvre d’un véritable programme d’intervention.

La Dre Jan Hux est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et conseillère scientifique en chef à l’Association canadienne du diabète. Elle possède une vaste expérience comme médecin, chercheuse, pédagogue et gestionnaire.

decembre 2014


This work is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.