Une version de ce commentaire est parue dans Options Politique et Le Huffington Post Québec

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Bon nombre d’entre nous qui œuvrons dans le milieu avons été agréablement surpris d’apprendre que le parti libéral avait promis d’adopter une loi nationale sur les handicaps afin de protéger les droits des personnes handicapées, d’aplanir les obstacles systémiques et de promouvoir l’égalité des chances. L’absence de loi à cet égard est une aberration lorsqu’on se compare aux autres pays développés – les États-Unis ont adopté la leur il y a 25 ans –, si bien que l’on peut dire que l’annonce n’arrive pas trop tôt.

Au cours des dix années où ils ont détenu le pouvoir, les conservateurs ont adopté néanmoins quelques mesures de leur cru qu’on peut qualifier de bonnes pour l’ensemble des personnes handicapées, dont la plus remarquable est le régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI).

Le projet, fruit des travaux du Planned Lifetime Advocacy Network (PLAN), un organisme à but non lucratif, avait été mis de l’avant par feu Jim Flaherty, ancien ministre des Finances, qui l’avait concrétisé dans son budget de 2007. Celui‑ci avait une expérience directe du handicap, l’un de ses fils ayant contracté à un très jeune âge une encéphalite qui avait entraîné des conséquences à long terme sur sa santé.

Le REEI représente l’héritage laissé par Jim Flaherty à ses concitoyens qui vivent avec un handicap. Il s’agit toujours d’un programme essentiel et très utile ‒ du moins en théorie.

Selon une étude publiée en 2014, seulement 15 % des Canadiens admissibles participent au programme, ce qui signifie que près d’un demi-million de personnes ne s’en prévalent pas. Avec la vague d’adolescents autistes qui atteindront l’âge adulte dans les années à venir, l’idée d’aider leurs familles à s’aider elles-mêmes n’a jamais semblé d’une aussi grande actualité.

En quoi consiste le programme et que peut-on faire pour l’améliorer?

Le REEI est un régime d’épargne visant à aider les parents et les personnes qui s’occupent d’une personne handicapée à mettre de l’argent de côté dans le but d’assurer sa sécurité financière à long terme. Une partie des sommes sont versées directement au régime par le fédéral; c’est de l’argent gratuit, en somme.

Les cotisations individuelles versées dans un REEI sont complémentées par une subvention ainsi qu’un bon (versés par le fédéral). La subvention, qui peut atteindre jusqu’à 3500 $ par an, est calculée selon le revenu familial et le montant de la cotisation du particulier au REEI. Le calcul du bon est basé uniquement sur le revenu familial (aucun bon n’est accordé si celui‑ci dépasse 44 701 $); le montant peut atteindre jusqu’à 1000 $ par an.

La limite à vie de la subvention que peut recevoir un bénéficiaire grâce au REEI est fixée à 70 000 $; celle du don, à 20 000 $ pour les bénéficiaires admissibles.

Dans ce cas, comment expliquer que le nombre de cotisants à un REEI soit si faible? En 2014, un comité sénatorial interpartis a entrepris une étude pour se pencher justement sur cette question. Il serait temps que notre nouveau gouvernement dépoussière le rapport qui en découle et mette en œuvre certaines des recommandations qu’il renferme.

Voici trois mesures que le fédéral pourrait instaurer rapidement en vue d’améliorer le REEI et venir immédiatement en aide aux familles touchées par le handicap:

1. Établir automatiquement un REEI au nom des personnes qui deviennent admissibles au crédit d’impôt pour personnes handicapées.

Lorsque j’ai ouvert un compte REEI au nom de mon fils, on m’a demandé de fournir son certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, son numéro d’assurance sociale ainsi qu’une preuve d’âge et de résidence au Canada. Toute cette paperasse peut décourager les personnes qui manquent de temps, ne maîtrisent pas la langue ou ont un faible degré de scolarité.

2. Dans l’intérim, faire la promotion du programme et en expliquer le fonctionnement.

Je rencontre souvent des familles qui n’ont jamais entendu parler du REEI ou qui ne savent pas comment s’inscrire. D’autres m’ont dit qu’ils ne disposaient pas de fonds suffisants, sans savoir qu’ils sont admissibles aux sommes versées gratuitement par le gouvernement simplement en ouvrant un compte, sans avoir à y verser un sou.

Les auteurs du rapport sénatorial recommandent au gouvernement de s’associer avec les groupes de défense des personnes handicapées pour faire connaître le programme. Une proposition sensée, puisque ce sont souvent les associations à but non lucratif qui interviennent auprès des familles en première ligne. Elles savent comment les joindre et peuvent les assister dans leurs démarches administratives.

Une autre avenue prometteuse consisterait à demander aux professionnels de la santé d’intervenir directement auprès de leurs patients. Récemment, une coalition de prestataires de soins, de chercheurs et d’associations en Ontario et au Manitoba a conçu une trousse d’outils destinée à aider les patients à améliorer leur situation financière ‒ et leur état de santé par le fait même ‒, en les renseignant sur les prestations auxquelles ils pourraient avoir droit.

3. Faciliter le versement de cotisations au REEI par l’entourage du bénéficiaire

Cette recommandation ne figure pas dans le rapport du Sénat; elle se fonde sur ma propre expérience et celle d’autres personnes que je connais dans le milieu. Si vous avez un enfant handicapé, il n’est pas toujours facile de se constituer un pécule. Les anniversaires et d’autres événements du même genre peuvent constituer une occasion pour l’entourage de contribuer de façon tangible à l’avenir d’un être cher.

Les institutions financières pourraient collaborer avec le fédéral afin de trouver un moyen, pour les particuliers non titulaires d’un compte, de verser des sommes modestes ou importantes au REEI d’un bénéficiaire (il est possible de le faire, en principe, mais dans la pratique, cela est presque impossible dans certains régimes). Après tout, il faut une collectivité pour élever un enfant.

Le REEI est indéniablement un excellent programme, aussi nécessaire aujourd’hui que lors de sa création. Il ne reste plus qu’à lui donner les ailes nécessaires pour qu’il prenne son envol.

Kathleen O’Grady est associée de recherche à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia et rédactrice en chef du site EvidenceNetwork.ca. Elle est mère de deux garçons, dont l’un est autiste.

Janvier 2016

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