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Le Canada a un rôle à jouer

Une version de ce commentaire est parue dans Options Politiques et Le Huffington Post Québec

Trop de femmes dans le monde meurent encore pendant la grossesse et l’accouchement

Le gouvernement du Canada participait récemment à la Réunion des ministres de la Santé du G7 tenue au Japon dans le but de discuter des mesures concrètes à prendre pour faire progresser la santé mondiale. Parmi les nombreux sujets à l’ordre du jour figurait l’amélioration des résultats en matière d’accouchement, une source de grande préoccupation. En voici les raisons.

Chaque jour, 830 femmes partout dans le monde meurent en raison de complications liées à la grossesse et à l’accouchement. La vaste majorité de ces décès surviennent dans des pays africains et des pays à faible et à moyen revenu. La plupart pourraient être évités si les femmes avaient accès à des services de santé de qualité, ce qui rend ce chiffre d’autant plus tragique.

Voici ce que les faits nous apprennent. Le nombre de décès maternels par rapport au nombre de naissances (le « ratio de mortalité maternelle ») est beaucoup plus élevé dans les pays à faible revenu. En 2015, on l’estimait à 239 pour 100 000 naissances, contre 12 pour 100 000 dans les pays à revenu élevé.

En fait, la mortalité maternelle est parfois très élevée dans certains pays à faible revenu en raison des disparités énormes en matière de qualité des services et d’accès. Au Soudan du Sud, par exemple, on estime qu’elle atteint 789 décès maternels pour 100 000 naissances.

À titre de comparaison, la mortalité maternelle au Canada s’élevait en 2015 à 7 pour 100 000 naissances, bien que ce chiffre soit beaucoup plus élevé chez les populations autochtones.

Que faire pour réduire le fossé et améliorer la santé maternelle dans le monde? Bien des choses. Et le Canada a un grand rôle à jouer dans ce dossier.

Des mesures ont été prises par le passé pour définir le problème.

En 2000, les Nations Unies et plus de 23 organismes internationaux ont adopté un accord connu sous le nom d’Objectifs du millénaire pour le développement, auquel le Canada a souscrit. Le programme vise à relever des défis humanitaires de taille : éliminer l’extrême pauvreté, réduire la mortalité infantile et promouvoir l’égalité des sexes. Son cinquième objectif concerne la santé maternelle par le biais d’un meilleur accès aux services de santé pour les femmes enceintes.

En 2010, le Canada pilotait l’initiative de MUSKOKA, un investissement de 7,3 milliards de dollars consenti par les pays du G8 dans un effort conjugué visant à réduire la mortalité maternelle, néonatale et infantile dans le monde. Le Canada a investi à lui seul 1,1 milliard de dollars dans un projet destiné à soutenir les pays à faible revenu qui aspirent à améliorer la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Le Canada s’est également engagé à financer une vingtaine de projets de recherche pilotés par des équipes composées de chercheurs canadiens et de chercheurs et décideurs africains, qui se sont donné pour but d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins prodigués aux femmes enceintes et aux enfants.

S’attaquer au problème du manque de respect et des mauvais traitements dans les établissements de soins de santé

À l’avenir, le Canada pourrait faire une énorme différence en santé maternelle s’il collaborait avec d’autres pays et des organismes à but non lucratif en vue de s’attaquer à un autre problème, à savoir le manque de respect à l’égard des femmes dans les établissements de santé et les mauvais traitements qu’elles y subissent.

Pourquoi s’engager dans ce dossier?

Un grand nombre des programmes voués au problème de la mortalité maternelle se concentrent uniquement sur les lacunes en matière d’accès : le manque d’établissements ou d’intervenants de santé, par exemple, ou les problèmes d’accès. Or, les chercheurs ont découvert qu’une condition essentielle à l’amélioration de la santé maternelle réside dans la qualité des soins qui sont dispensés aux femmes.

Que faudrait-il améliorer?

Dans une méta-analyse sur les obstacles qui empêchent les femmes enceintes de consulter les services de santé dans les pays à faible et à moyen revenu, on s’est rendu compte que la prestation des soins dans les établissements de santé se caractérisait souvent par des actes d’agression physique et verbale, l’absence de consentement, la discrimination, la négligence, la violation de l’intimité et même, la détention des patientes contre leur gré.

Regroupées sous le terme « manque de respect et mauvais traitements », les pratiques de ce genre peuvent nuire considérablement à l’efficacité des interventions destinées à améliorer les résultats de santé maternelle.

L’étude démontre que les hôpitaux sont perçus par les femmes comme des établissements où l’on pratique un trop grand nombre d’actes invasifs, comme des examens vaginaux inutiles; où l’on se montre insensible au respect de l’intimité; et où l’on prive les femmes de tout pouvoir de décision pendant l’accouchement.

Un grand nombre de répondantes se sont plaintes du manque de prestataires de soins bienveillants pendant l’accouchement; certaines ont indiqué avoir attendu longtemps avant d’être soignées et d’autres redouter de passer sous le bistouri (pour une épisiotomie ou une césarienne). D’autres encore décrivent les intervenants de santé comme des personnes qui font usage de la violence verbale, manquent de compassion et peuvent même agresser physiquement une femme pendant l’accouchement. Des femmes enceintes ont dit craindre qu’on les oblige à subir un test de dépistage du VIH ou que l’on divulgue leur séropositivité. Enfin, d’autres ont peur d’être stigmatisées parce qu’elles ne sont pas mariées.

L’adoption de politiques destinées à contrer les mauvais traitements et la négligence dans les établissements de santé et à protéger les droits des femmes pourrait contribuer à atténuer le sentiment de méfiance et les comportements d’évitements, tout en améliorant la santé maternelle dans la foulée.

On assiste partout dans le monde à l’émergence de mouvements populaires et professionnels visant à promouvoir l’accouchement fondé sur le respect de la dignité. C’est le cas de l’Alliance du ruban blanc. Celle-ci rassemble des individus, des ONG, des associations professionnelles, des organismes gouvernementaux, des jeunes, des leaders communautaires, des universitaires et des organisations de donateurs, tous unis vers un même objectif : défendre le droit de toutes les femmes d’accoucher en toute sécurité.

Le temps est venu pour le Canada d’agir.

Comme citoyens et citoyennes du monde résolus à améliorer la santé infantile et maternelle dans tous les pays, nous devrions orienter nos politiques, nos formations et nos subventions de façon à s’attaquer au problème du manque de respect et des mauvais traitements dans les établissements de santé partout et notamment dans les pays à faible et à moyen revenu.

Le Canada pourrait multiplier les interventions en ce sens, insister sur la nécessité de former les étudiants en santé mondiale et les experts des ONG et sensibiliser les décideurs et les professionnels de la santé œuvrant dans le secteur. De plus, la recherche en matière de politiques fondées sur des données probantes contribuerait grandement à améliorer les résultats en matière de santé maternelle.

En d’autres termes, nous devrions être plus actifs au sein des réseaux qui revendiquent le droit des femmes d’accoucher dans le respect et la dignité, et contribuer par le fait même à sauver des vies.

Bien entendu, il faudrait aussi collaborer avec les médecins, les scientifiques et les décideurs sur place afin que leurs actions reposent sur les meilleures preuves disponibles et tiennent compte des spécificités culturelles, pour éviter de reproduire les erreurs du colonialisme. Enfin, ce travail doit s’inscrire dans une optique plus large, soit la volonté de faire tomber d’autres obstacles qui bloquent l’accès aux soins de santé, comme l’accessibilité financière, le transport et l’éducation sanitaire, parmi tant d’autres.

Le gouvernement Trudeau a dit vouloir faire en sorte que le Canada assume un rôle de chef de file en matière de santé mondiale, notamment en ce qui concerne la santé infantile et maternelle. Un bon point de départ serait de commencer par éliminer les obstacles associés aux soins de santé qui se posent pour les femmes – dont le manque de respect et les mauvais traitements.

 

Loubna Belaid est chercheuse postdoctorale au CRCHUM et à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la santé maternelle et reproductive dans les pays à moyen et à faible revenu. Elle participe à des projets de santé publique axés sur ces thématiques en Afrique et au Maroc.

Valery Ridde est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca, professeur agrégé en santé mondiale à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) et chercheur à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM). Ses intérêts de recherche couvrent l’évaluation, la santé mondiale, les soins de santé et les interventions communautaires (www.equitesante.org). Il est titulaire d’une chaire de recherche en santé publique appliquée des Instituts de la recherche en santé du Canada (IRSC).

Octobre 2016


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