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Le déploiement d’efforts de sensibilisation à la suite de suicides très médiatisés peut sauver des vies

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Un lien est établi entre la couverture médiatique du suicide chez les jeunes et le nombre de visites à l’urgence pour des troubles de santé mentaleAu cours des dernières années, deux suicides de jeunes dans la région d’Ottawa ont suscité beaucoup d’attention de la part des médias, ce qui a provoqué, selon une nouvelle étude, une augmentation du nombre de jeunes qui se rendent aux urgences pour des troubles de santé mentale.

Il y a eu d’abord le suicide de Daron Richardson en 2010, la fille de l’entraîneur adjoint des Sénateurs d’Ottawa et joueur de la LNH Luke Richardson. Les médias ont interviewé nombre de ses amis, les membres de sa propre équipe de hockey et les membres de sa famille, et sa cérémonie commémorative a été grandement couverte par les médias. Ses amis d’école ont lancé le défi Do It for Daron [faites-le pour Daron], qui est devenu la fondation DIFD, une initiative bien connue et menée par des jeunes qui a pour mandat de sensibiliser la population sur la question de la santé mentale chez les jeunes.

Puis, une autre tragédie a frappé cette communauté. Jamie Hubley, le fils d’Allan Hubley, conseiller municipal à la Ville d’Ottawa, s’est suicidé en 2011. Sa mort a aussi fait l’objet d’une importante couverture médiatique et ses parents ont ouvertement parlé de son suicide avec les journalistes.

Quel a été l’impact de cette intense attention médiatique?

Notre étude, récemment publiée dans la revue Politiques de santé, porte sur le nombre de jeunes qui se sont rendus à l’urgence dans les 14, 28 et 90 jours suivant ces suicides fortement médiatisés. L’étude, menée à l’Institut de recherche du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) à Ottawa, s’est penchée sur les 6 700 cas de jeunes qui ont consulté à l’urgence entre 2007 et 2012. Nous avons relevé une augmentation importante du nombre de visites à l’urgence pédiatrique locale (CHEO) pour des troubles de santé mentale, dans les 28 et 90 jours qui ont suivi les suicides de Daron et Jamie, comparativement aux mêmes dates dans les années précédentes.

Cependant, ce lien, qui semble de prime abord inquiétant, peut indiquer une tendance positive.

Bien que notre étude ait constaté une importante hausse du taux de visites à l’urgence pédiatrique locale pour des troubles de santé mentale à la suite de ces deux suicides médiatisés, nous n’avons observé aucune différence quant à la gravité des symptômes de maladie mentale ou des tendances suicidaires dans le cadre de ces consultations. Ceci suggère que l’attention médiatique a peut-être mis en lumière les problématiques de santé mentale au sein de la communauté sans pour autant que les jeunes ne pensent davantage au suicide.

En d’autres termes, une couverture médiatique appropriée peut en fait jouer un rôle positif. Elle peut contribuer à sensibiliser la population en matière de santé mentale et favoriser la capacité de demander de l’aide.

Le lien entre les comportements suicidaires et la couverture médiatique est souvent associé à deux concepts : l’effet Werther et l’effet Papageno. L’effet Werther, dont l’existence a été bien établie par la recherche, décrit l’augmentation du taux de suicides à la suite de la médiatisation d’une telle tragédie. Les épidémies de suicides sont plus fréquentes chez les adolescents et les jeunes adultes et le risque de suicide augmente selon le nombre de caractéristiques communes avec la victime ainsi que la renommée de cette dernière.

C’est la raison pour laquelle nombre de pays se sont dotés de lignes directrices volontaires en matière de signalement afin de diminuer les possibles effets négatifs découlant de l’attention médiatique à la suite de suicides. Au Canada, les lignes directrices invitent fortement les médias à ne pas perpétuer le mythe selon lequel le suicide serait inexplicable, de favoriser un sentiment d’identification avec la victime par la voie de photos, de descriptions du moyen utilisé et des lieux, de diffuser l’information en première page, et d’afficher des titres à sensation.

À l’inverse, l’effet Papageno se manifeste lorsque la médiatisation d’un suicide a un effet de prévention sur le nombre de suicides subséquents. Par exemple, une étude indique que le suicide de Kurt Cobain, chanteur principal et guitariste du groupe Nirvana, n’a pas produit l’effet Werther attendu. Bien au contraire, le taux de suicides dans la semaine qui a suivi la mort de M. Cobain a diminué, comparativement au taux de suicides recensés à la même période dans les années qui ont précédé et suivi le suicide. Certains ont émis l’hypothèse selon laquelle les ressources de crises immédiatement mises en place à l’intention de la population et la couverture médiatique incluant de l’information sur les centres de crise avec lesquels les jeunes pouvaient communiquer auraient été clé.

D’autres études ont démontré que les embargos sur certaines nouvelles, la diminution du nombre de reportages portant sur le suicide et une amélioration de la qualité de la couverture médiatique contribuent à prévenir les épidémies de suicides.

Donc, quelle conclusion pouvons-nous tirer de ces excellents exemples?

La médiatisation des suicides n’entraîne pas nécessairement des effets négatifs. La qualité de la couverture a assurément un impact. Les reportages portant sur le suicide de Daron et de Jamie ont été faits, dans l’ensemble, avec délicatesse et de façon intelligente. Ils étaient aussi accompagnés d’une liste de ressources auxquelles les jeunes en détresse pouvaient s’adresser pour obtenir de l’aide. Les parents ont coopéré et étaient engagés et les personnes qui ont été questionnées ont offert de l’information pertinente sur la prévention du suicide à l’intention des familles et des enseignants, notamment les signes avant-coureurs, les ressources à contacter, les gestes à poser et l’aide à apporter.

Lorsque les actualités rapportent le suicide d’un jeune, ce serait aussi important pour les communautés de mettre en place des ressources d’intervention d’urgence pour assurer la prestation d’un soutien aux jeunes qui sont aux prises de troubles de santé mentale. Le simple fait de parler de suicide n’entraîne pas nécessairement d’autres suicides. Par contre, un accès en temps opportun à du soutien et à des ressources en santé mentale peut sauver des vies.

Stephanie L. Leon est doctorante en psychologie clinique à l’Université d’Ottawa. Elle parachève présentement son doctorat à l’Institut de recherche du CHEO. Le Dr Mario Cappelli est directeur de la recherche en psychiatrie et santé mentale au CHEO, président du comité de recherche-action du Réseau communautaire de prévention du suicide d’Ottawa, et professeur auxiliaire clinique en psychologie et psychiatrie à l’Université d’Ottawa. Tous deux agissent à titre de conseillers auprès d’EvidenceNetwork.ca.

Visionnez deux affiches, 1 et 2 basées sur l’article

octobre 2014


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