Pourquoi la politique sociale est une politique de santé
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Le Soleil
En tant que chercheurs sur l’équité en santé, notre travail nous amène notamment à mesurer les liens entre les facteurs sociaux et l’état de santé. Souvent, nous essayons de relier un facteur social comme le revenu, à un état de santé comme le diabète, l’insuffisance de poids à la naissance ou la maladie mentale — la liste est longue. Une telle approche nous permet de montrer dans quels cas un faible revenu est associé à un risque accru de développer un problème particulier. Toutefois, ce qu’en général nous ne mesurons pas, c’est l’incidence globale d’un faible revenu sur la santé physique et mentale.
Alors, que ce passe-t-il lorsque nous essayons de le mesurer? Au Centre for Research on Inner City Health, nous avons analysé des données d’enquête sanitaire représentatives de plus de 75 000 femmes canadiennes ayant accouché récemment. Nous avons examiné le lien entre un faible revenu et le risque de développer simultanément de trois à cinq des troubles de santé suivants : issues défavorables de la grossesse, dépression postpartum, sévices graves, hospitalisation durant la grossesse et fréquents événements de la vie stressants.
Les résultats ont été stupéfiants. Nous sommes arrivés à la conclusion que les nouvelles mères vivant avec de très faibles revenus étaient plus de 20 fois plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé multiples que les nouvelles mères ayant des revenus élevés. Comparez ce résultat avec celui de la méthode axée sur une seule maladie, laquelle nous amène souvent à conclure que les personnes vivant avec de faibles revenus ne sont que deux fois plus susceptibles — tout au plus — de développer un problème de santé particulier.
Le Québec s’enorgueillit d’avoir l’un des taux de pauvreté les plus bas parmi les provinces et territoires du Canada. Pourtant, dans l’échantillon étudié, encore près de 20 % des mères ayant accouché au Québec avaient éprouvé des difficultés financières pour répondre aux besoins essentiels de leur famille.
Nos données probantes donnent également à penser que si nous étions en mesure d’assurer à toutes les nouvelles mères du Canada des revenus de ménage supérieurs à 50 000 $ par an, nous pourrions réduire de 60 % l’occurrence des problèmes de santé multiples durant la grossesse.
Ces résultats nous indiquent qu’un faible revenu ne fait pas que mener à une maladie ou une autre. Il a plutôt des répercussions étendues sur la santé des personnes et des collectivités. Ces résultats nous indiquent également que, nous chercheurs, nous avons utilisé les mauvais outils et généralement sous-estimé les conséquences globales du revenu sur la santé.
À présent que nous évaluons de manière plus exacte les répercussions d’un faible revenu sur le bien-être, quel genre de solutions ces résultats suggèrent-ils? Dans une certaine mesure, le système de soins de santé reconnaît déjà que certaines populations sont confrontées à des problèmes de santé multiples. Les mesures prises récemment incluaient une insistance particulièrement bienvenue sur la coordination des cas et la collaboration entre les différentes parties du système, comme les soins primaires, les hôpitaux, les soins à domicile et à long terme. Ce sont de bonnes choses. Les mesures prises dans certains programmes comme les centres d’éducation sur le diabète et les cours de réduction du stress peuvent également être efficaces.
Le système de santé n’est cependant pas le seul élément — ni même nécessairement l’élément le plus important — sur lequel axer nos efforts pour améliorer la santé de la population.
Nos données probantes évoquent plutôt l’incroyable potentiel lié au fait de concentrer notre attention sur le faible revenu lui-même. Si nous nous demandons comment améliorer la santé de la population canadienne à grande échelle, les modifications des programmes et du système de santé — bien que très importants — ne sont pas la réponse. La réponse est d’instituer des politiques s’attaquant aux déterminants sociaux de la santé, tels que l’éducation, le logement et l’emploi, et de changer les conditions elles-mêmes.
Concrètement, de quoi s’agit-il? Nous pouvons commencer par reconnaître que notre santé est en grande partie déterminée par des facteurs extérieurs au système de soins de santé. C’est un fait connu de nombreuses personnes, mais à présent nous disposons de données et de quelques chiffres effarants pour l’étayer. Par conséquent, nous pouvons voir que la politique sociale est véritablement une politique de santé.
À long terme, nous devons travailler en vue de favoriser les collaborations entre des secteurs comme le logement, la santé et l’emploi, et entre les paliers de gouvernement, afin de coordonner les services et mesurer leurs répercussions sur la santé. À court terme, nous devons investir dans des politiques de soutien du revenu. Les possibilités sont nombreuses — de l’ajustement des programmes d’aide financière, des prestations de chômage et du salaire minimum au coût de la vie réel, à l’augmentation des prestations provinciales pour enfants au niveau requis afin de s’assurer que tous les enfants du pays vivent en bonne santé.
Les données probantes nous montrent que la santé des mères, des bébés et des familles sont en jeu et qu’il n’y a plus de temps à perdre.
Informez-vous sur cette étude en consultant le site www.crich.ca/outreach/crich-research-flash
Patricia O’Campo est experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, de même qu’épidémiologiste sociale et directrice du Centre for Research on Inner City Health à l’hôpital St. Michael’s de Toronto. Elle est également professeure à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto et occupe la chaire de recherche Alma et Baxter Ricard sur la santé dans les villes.
août 2013