Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil, Le Huffington Post Québec et Le Droit
La dépression postpartum. Enfin, les gens en parlent. Pendant des années, on lui accordait peu d’importance et on la considérait comme un simple vague à l’âme après l’accouchement. Dans certains milieux, elle était inconnue. La dépression postpartum, ou la DPP comme elle est souvent appelée, est devenue un sujet ouvert. Les professionnels connaissent le problème, nombre d’infirmières et de médecins font du dépistage systématique auprès des mères et des articles sur cette question ont été publiés dans des revues pour parents et les grands journaux.
Or, malgré ces progrès, l’incompréhension demeure, notamment concernant un point important. Selon la croyance, seules les mères en sont touchées et en subissent les effets.
Ce postulat est erroné, et ce pour deux raisons. D’abord, il ne tient pas compte du fait que tant les hommes que les femmes peuvent souffrir de DPP. Bien qu’elle soit plus fréquente chez les mères, touchant de 10 à 25 pour cent d’entre elles, la DPP frappe aussi 10 à 14 pour cent des pères. Les symptômes de la DPP paternelle et maternelle se recoupent considérablement et comprennent la fatigue, l’irritabilité, le repli sur soi-même. Ils se manifestent au même moment, soit environ un mois après l’arrivée du bébé.
De plus, les deux groupes semblent étroitement liés. Au moins la moitié des pères souffrant de DPP sont avec des partenaires qui en souffrent aussi. Cela signifie que dans un nombre important de foyers touchés par la DPP, les deux adultes souffrent.
La deuxième raison est la suivante : la DPP touche aussi les enfants.
Pendant les deux ou trois premières années de vie, les connections neurales se multiplient à un rythme de plusieurs millions à la seconde, bien au-delà de ce dont l’enfant aura besoin, ce qui permet au cerveau de se développer et de s’adapter à l’environnement. Cette capacité d’adaptation, appelée « plasticité neuronale », diminue avec l’âge. Les connections les plus utilisées se consolident et se renforcent et celles qui sont inutilisées s’étiolent et rétrécissent. Grâce à cette brève fenêtre d’adaptabilité phénoménale, les enfants peuvent apprendre des procédures complexes, comme les habiletés motrices et le langage, à une vitesse incroyable.
Malheureusement, cet état les rend aussi vulnérables à l’anxiété, la frustration et le stress émotionnel causés par la dépression. Ces problèmes s’enracinent dans leur esprit malléable, comme des doigts dans une pâte à modeler, et pourraient ne jamais totalement disparaître. Par conséquent, les enfants de parents souffrant de dépression sont plus à risque de vivre des problèmes sur le plan émotionnel, intellectuel et comportemental, surtout si les deux parents sont souffrants.
Parfois, ces symptômes prennent des années à se manifester. Selon une étude, un enfant de deux ans dont la mère souffre de dépression est plus à risque de vivre de l’anxiété à l’âge de 11 ans. Si un tel trouble apparaît, il risque de perdurer. La DPP est lié à des problèmes de colère et de renferment sur soi à l’étape de l’enfance, ainsi qu’à l’agressivité, l’anxiété, un QI plus faible chez les enfants d’âge scolaire, la consommation de substances, l’alcoolisme et le TDAH chez les adolescents.
Ces troubles exercent souvent un impact qui peut entraver la réussite plus tard. Ces futurs adultes risquent d’être peu scolarisés, de vivre dans la pauvreté et d’être atteints de troubles mentaux et physiques.
Vu ces conséquences à long terme, il est impératif d’élaborer un système proactif pour soutenir les mères et les pères qui souffrent de DPP. Un dépistage postanal exhaustif permettrait aux cliniciens en formation de repérer les individus qui pourraient en souffrir, et la présence d’un réseau d’intervenants professionnels et de groupes de pairs pourrait aider les parents à gérer les symptômes de DPP avant que leur état ne dégénère, tout en brisant le sentiment d’isolement.
Ce programme est bien plus qu’une simple aide aux parents. La mise en place d’un solide système de soutien prénatal et postnatal, non seulement pour les personnes atteintes de DPP mais aussi pour tous les parents aux prises avec la pauvreté, la toxicomanie et des problèmes psychologiques, donnerait aux enfants qui seraient à risque la possibilité de s’épanouir.
Les parents ne font pas qu’élever des enfants. Ils élèvent la prochaine génération de travailleurs, d’innovateurs et de leaders. En les aidant, nous aidons les enfants, notre société et nous-mêmes.
La DPP n’est pas seulement un problème qui nécessite une solution d’abord familiale, mais celle-ci est un bon départ. Un soutien aux parents en difficulté est un investissement pour un avenir meilleur.
Nicole Letourneau œuvre à titre d’experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et est professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine. Elle est également titulaire de la chaire de la fondation Norlien/Alberta Children’s Hospital œuvrant en santé mentale des parents et des enfants, à l’Université de Calgary. Justin Joschko est rédacteur pigiste et vit actuellement à Ottawa. Ils sont co-auteurs d’un livre intitulé Scientific Parenting, récemment paru aux éditions Dundurn Press.
septembre 2013