L’initiative de transparence prise par Santé Canada n’est pas si transparente que ça
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Le Soleil
Pourquoi Santé Canada ne dit pas tout aux médecins et au grand public sur la réalité de l’innocuité et de l’efficacité des nouveaux médicaments ?
Une information inadéquate est tout aussi dangereuse qu’une désinformation pour les raisons qui suivent.
Dans notre étude, parue récemment dans le journal PLoS One, nous avions examiné la façon dont Santé Canada informe le public en ce qui concerne l’efficacité et l’innocuité des nouveaux médicaments et la cause de leur autorisation. Nos conclusions sont inquiétantes.
Normalement, pour mettre sur le marché un nouveau médicament au Canada, la compagnie pharmaceutique doit soumettre tous les renseignements sur l’innocuité et l’efficacité du médicament obtenus à travers les résultats des essais cliniques.
Dans le cas où Santé Canada approuve la commercialisation du médicament, l’information sur les résultats cliniques est considérée comme une information confidentielle par la compagnie et n’est pas divulguée au public. Sauf si la compagnie pharmaceutique décide de la mettre à disposition du public.
Pour en savoir davantage sur les risques et bénéfices des nouveaux médicaments, le public doit espérer que les compagnies publient, de leur propre chef, les données de leurs essais cliniques. Si ces données ne sont pas rendues publiques, il reste à l’individu lui-même de faire une demande formelle d’accès à cette information auprès de Santé Canada afin d’en saisir le contenu. Or, ceci peut être accordée ou non selon les envies de la compagnie propriétaire de l’information.
Par le passé, Santé Canada s’est fait reprocher à plusieurs occasions son manque de transparence dans le processus d’autorisation des médicaments. Plus récemment en 2011, le rapport du Vérificateur Général du Canada concluait que « Santé Canada n’a pas respecté son engagement de longue date, à savoir améliorer la transparence des essais cliniques autorisés ».
En réponse à ces critiques, Santé Canada pilote depuis 2004 un projet de transparence dénommé « Sommaire des motifs de décision ». Le but de ce projet est selon la description de Santé Canada, de s’assurer que les professionnels et les patients de soins de santé canadiens aient plus d’informations à leur disposition pour soutenir de manière éclairée les choix de thérapeutiques.
Les sommaires des motifs de décision sont censés résumer l’information sur les essais cliniques qui a été examiné par Santé Canada avant d’approuver un nouveau médicament — et la mettre à la disposition des médecins et du public afin de permettre la prise de décisions sur des données probantes. Cela devrait être un pas dans la bonne direction.
Malheureusement, ce n’est pas ce que notre étude révèle.
Nous avions analysé les documents de la première phase du sommaire des motifs de projet de décision. Dans la majorité des cas, nous avions constaté que ces documents étaient criblés d’incohérences et d’ambiguïtés avec un manque d’informations clés sur la sécurité et l’efficacité des médicaments.
En lisant ces documents, les médecins ne seraient pas en mesure de dire si les patients qui ont participé aux essais cliniques sont similaires à ceux qu’ils voient dans leurs bureaux. Par exemple, la majorité des documents ne révèle pas l’âge des patients dans les essais examinés, ni le nombre d’hommes et de femmes. Plus de 97% des documents n’informe pas complètement sur le nombre de gens qui se sont retirés des essais. Aussi, des informations d’une grande importance sur les résultats des essais sont absentes dans plus de deux tiers des documents.
La connaissance sur la sécurité et l’efficacité éclaire le processus décisionnel qui déterminera la liste des médicaments couverts par les formulaires provinciaux. Cette information permet de mener à bien des synthèses extrêmement utiles pour répondre à quelques-unes des questions les plus pressantes de la médecine concernant les choix thérapeutiques.
Prenons par exemple le scandale Vioxx (rofécoxib), où des dizaines de milliers de personnes sont mortes pour avoir pris un analgésique approuvé pas Santé Canada. Ce cas devrait nous rappeler que les politiques qui entravent la transparence des données constituent une véritable menace pour la santé des patients.
Si toutes les données des essais cliniques que possédaient Santé Canada avaient été mises à la disposition du grand public, des chercheurs indépendants auraient peut-être été en mesure d’identifier à un stade plus précoce les problèmes de sécurité associés avec le médicament.
Nous suggérons à Santé Canada de prendre des mesures proactives pour rétablir les faits (ou dans ce cas, les preuves) et de publier entièrement les rapports d’études cliniques qui leur sont soumis par les compagnies partenaires.
Cela ne ferait certainement pas de Santé Canada un pionnier sur la scène internationale ; déjà aux États-Unis, la Food and Drug Administration publie des rapports complets de ses évaluateurs. Quant à l’Agence Européenne des Médicaments, elle se dirige également vers la divulgation complète de toutes les informations concernant essais d’ici la fin de l’année 2014.
Nous joignons nos voix à ceux des nombreux autres patients, professionnels de santé, chercheurs, responsables politiques, et dirigeants de l’industrie, qui reconnaissent que la diffusion d’information sur les essais cliniques de façon adéquate et au moment opportun est un droit depuis trop longtemps refusé au grand public.
Roojin Habib est candidate en maitrise dans le programme de santé mondiale de l’Université de McMaster, et chercheuse au sein du Consortium de Recherche en Politiques Pharmaceutiques (CRPP).
Joel Lexchin est conseiller au projet EvidenceNetwork.ca, enseignant à l’Université York en politique de la santé et médecin urgentiste au Réseau Universitaire de la Santé (RUS).
Mars 2014