L’autorégulation comme piste de solution
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Quelque chose d’assez remarquable est en train de se produire au Canada : du jour au lendemain, tout le monde s’est mis à parler d’autorégulation. Nous ne savons pas toujours en quoi cela consiste et encore moins comment l’appliquer, mais nous sommes de plus en plus nombreux à nous y intéresser, parce que nous devinons qu’il s’agit d’une de ces percées scientifiques propres à transformer l’idée qu’on se fait des enfants et l’aide qu’on leur procure.
En termes simples, l’autorégulation désigne les processus neuronaux qui modulent l’énergie dépensée pour réagir à un facteur de stress et ensuite récupérer. Un niveau de stress excessif perturbe les mécanismes qui régulent la pensée et la récupération métabolique chez l’enfant. On peut en repérer les signes dans son comportement, son humeur, son niveau d’attention ou tout simplement dans son degré de bien-être physique. À en juger par la multiplication des problèmes observés aujourd’hui chez les enfants canadiens, le stress qu’ils subissent est beaucoup trop grand.
Les constats de plus en plus nombreux confirmant cet état de choses nous ont amenés à nous interroger sur les facteurs courants susceptibles d’en être responsables. Ce que nous avons découvert nous a étonnés. À titre d’exemple, le bruit est devenu un problème majeur : le volume sonore n’est pas le seul en cause, mais aussi la réverbération et la présence de sons graves. Il y aussi ce qu’on pourrait appeler le « bruit visuel », soit le degré de désordre et de distraction pour l’œil. Or il se trouve que ces stresseurs abondent dans une salle de classe typique. On constate que les mesures prises pour les atténuer se traduisent chez les élèves par une nette amélioration sur le plan du comportement et de l’attention.
Nous ne faisons que commencer à recenser tous les facteurs en jeu, mais nous nous rendons déjà compte que des choses auxquelles nous n’aurions pas pensé à première vue, comme le sommeil, l’alimentation, l’exercice, les loisirs ou l’environnement, pourraient sensiblement alourdir le fardeau de stress des enfants. En effet, lorsqu’on parvient à repérer ces facteurs et à les atténuer, on s’aperçoit que bon nombre des problèmes diminuent et que les enfants se montrent plus réceptifs à l’aide des adultes.
Voilà précisément ce qui fait de ce changement de perspective une petite révolution : il n’est plus question ici d’exercer son autorité, mais de favoriser l’autorégulation. Le recours à une « discipline sévère » pour corriger un problème repose sur l’idée que l’enfant est capable d’agir autrement et qu’il ne pourra apprendre l’importance de la maîtrise de soi que si on lui montre les conséquences d’une mauvaise décision. Le hic, c’est qu’en situation de stress excessif, l’un des principaux mécanismes qui s’enrayent est celui-là même qui nous permet de nous maîtriser.
À long terme, le fait de punir ou de réprimander fortement un enfant surmené ne fera qu’exacerber sa difficulté à se maîtriser. Certes, si la punition est suffisamment sévère, il est probable qu’il se calme et peut-être même, qu’il devienne docile. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il a « enfin compris le message », bien au contraire; ce qui se produit dans de trop nombreux cas, c’est que l’enfant se « fige » : il donne l’impression de s’être tranquillisé, mais si on pouvait regarder dans son cerveau, on verrait que son système d’alarme est en mode qui-vive. Dans pareil état, un enfant ne capte pas un seul mot de ce qu’on lui dit. Il s’emploie plutôt à mobiliser l’énergie requise pour s’enfuir à la première occasion.
Dans notre travail auprès des parents et des enseignants, nous avons défini cinq principes qui visent à favoriser l’autorégulation chez les enfants.
1. Apprendre à reconnaître les signes de surmenage.
2. Repérer les stresseurs.
3. Atténuer les stresseurs.
4. Aider l’enfant à définir comment il se sent quand il est calme et quand il est agité.
5. Amener l’enfant à acquérir des stratégies qui l’aideront à se calmer lorsqu’il deviendra agité.
Si vous soupçonnez que le stress que ressent votre enfant est trop élevé, différentes stratégies s’offrent à vous. L’une des plus efficaces est le jeu libre. Il n’est guère étonnant que les enfants profitent souvent de ce temps pour construire un fort, car cela leur donne un sentiment de sécurité. Les sports ont un effet apaisant chez certains; chez d’autres, ce sera la musique. Nombreux sont les enfants qui adorent le yoga, la lecture, faire du bricolage ou la cuisine ou encore prendre soin d’un animal. Chaque enfant est différent; il vous faudra peut-être tâtonner un peu avant de découvrir les activités qui conviennent au vôtre. Vous saurez que vous êtes tombé sur la bonne méthode au sourire qui illuminera leur visage et à la sensation de détente qui se dégagera de son corps.
Il n’est jamais trop tard pour commencer à inculquer l’autorégulation et il n’y a pas d’âge pour cesser d’y travailler. Cette méthode permettra à l’enfant d’acquérir les habiletés dont il aura besoin pour faire face aux stresseurs susceptibles de survenir au courant du 21e siècle, et dont il est difficile d’imaginer la portée, si l’on se fie à l’hiver que nous venons de traverser !
Stuart Shanker est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca. Il est professeur émérite de philosophie et de psychologie et directeur du programme Milton and Ethel Harris Research Initiative à l’Université York. Pour en savoir plus sur l’autorégulation, consultez son ouvrage Calm, Alert and Learning (Pearson, 2012), ainsi que les sites www.mehritcentre.com et www.self-regulation.ca.
Avril 2014