Le gouvernement fédéral se retire de son rôle actif dans le domaine des dépenses en soins de santé
Une version de ce commentaire est parue dans L’Aut’ Journal et Le Huffington Post Québec
Le rythme des dépenses dans le système de soins de santé public du Canada semble s’être ralenti, ce qui laisse entrevoir la possibilité, finalement, d’un infléchissement de la courbe des coûts en santé et d’une transformation réussie du système. Les chiffres de l’Institut canadien d’information sur la santé indiquent en effet que les dépenses réelles par habitant en santé dans le secteur public devraient, après avoir atteint en 2010 un sommet s’élevant à 2 687 $ (en dollars constants de 1997), redescendre en 2013 à un montant prévu de 2 638 $, après compilation des dernières données. Il est vrai que le Québec s’inscrit à contre-courant de cette tendance, ses dépenses réelles par habitant en santé ayant connu une légère augmentation, passant de 2 495 $ en 2010 à un montant prévu de 2 520 $ en 2013, mais les dépenses québécoises demeurent néanmoins les plus basses des dix provinces.
On observe donc une réduction des dépenses publiques réelles par habitant en santé au Canada depuis 2010, à raison d’environ un pour cent par année. Cette baisse est d’autant plus remarquable que le taux de croissance moyen des dépenses publiques réelles par habitant en santé était de 1997 à 2010 approximativement de trois pour cent. Mais comment expliquer une telle diminution ?
Première explication possible : la proposition de la Commission Romanow sur les soins de santé recommandant d’injecter de l’argent frais dans le système afin d’y opérer un changement transformateur aurait fonctionné. Grâce à des investissements dans de nouvelles technologies et à une transformation de la prestation des soins de santé, nous aurions enfin réussi à maîtriser la croissance des dépenses.
Cette explication est trop belle pour être vraie. Selon les conclusions du rapport d’examen de l’Accord sur la santé de 2004 réalisé en 2012 par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, les réalisations accomplies dans le cadre de cet accord sont mitigées. Le financement accru « a stimulé la prestation des services, mais il n’a pas contribué à la réforme des régimes de santé, pas plus qu’à l’intégration fort nécessaire des différents secteurs de la santé et au décloisonnement ». En d’autres termes, rien n’a véritablement changé.
Deuxième explication possible : la baisse des dépenses qu’on observe actuellement serait liée au ralentissement économique provoqué par la récession de 2009 et aux répercussions de ce ralentissement sur les budgets provinciaux.
De fait, la dernière fois que les dépenses réelles par habitant en santé ont connu une telle décroissance remonte aux années 1990 et s’inscrivait dans le sillage de la récession de 1991 ainsi que d’une crise budgétaire fédérale qui a mené à des compressions dans les transferts aux provinces. Que la santé financière des provinces soit un facteur est d’autant plus probable que les dépenses réelles par habitant en santé pour 2013 sont selon les prévisions toujours en croissance en Alberta et en Saskatchewan, les provinces les plus robustes sur le plan économique. Qui plus est, la croissance des dépenses réelles par habitant en santé dans le secteur privé a également connu un ralentissement, bien qu’elle soit demeurée positive.
Si la santé de l’économie est un facteur déterminant, la diminution des dépenses publiques en santé n’est alors que transitoire et celles-ci recommenceront à croître dès que l’économie reprendra.
Troisième explication possible : la baisse des dépenses résulterait d’un ajustement provincial motivé par la fin de l’Accord sur la santé de 2004 et l’imposition d’une nouvelle formule du transfert canadien en matière de santé qui entrera en vigueur en 2017.
À partir de 2017, l’augmentation des transferts fédéraux en santé sera liée à la croissance de l’économie nationale ainsi qu’à l’inflation et présentera un taux plancher de trois pour cent. Le Québec pourra ainsi s’attendre à voir ses transferts fédéraux en santé augmenter d’au moins trois pour cent par année après 2017, et peut-être même de plus si la croissance économique nationale se fait robuste. En 2013, l’économie canadienne a connu une meilleure croissance que l’économie québécoise.
Il est par conséquent possible que les provinces, faisant preuve de clairvoyance, aient mis en œuvre à l’avance des mesures de contrôle des coûts afin de se préparer au jour où la croissance annuelle des transferts fédéraux diminuera de son taux actuel de six pour cent prévu dans le cadre de l’Accord sur la santé de 2004.
En fait, l’explication la plus plausible est probablement une combinaison de la deuxième et de la troisième, ce qui veut dire que la courbe des coûts des soins de santé ne se serait pas encore véritablement infléchie.
Qu’est-ce que cela signifie ? L’économie reprendra un jour ou l’autre et les limitations imposées aux dépenses provinciales en santé se relâcheront, tandis que la croissance des transferts fédéraux en matière se santé sera réduite à compter de 2017. Par conséquent, la nouvelle formule de transfert pourrait avoir pour effet de forcer les provinces à assumer elles-mêmes les coûts de leur système de soin de santé respectif.
Compte tenu de l’inflation et de la croissance de la population, les transferts fédéraux connaîtront dans les faits un gel en termes réels par habitant après une décennie de croissance continue. Il s’agit donc d’une autre façon pour le gouvernement fédéral d’inciter les provinces à infléchir la courbe des coûts en soins de santé. Cependant, les provinces devront cette fois relever le défi d’appliquer de nouvelles solutions sans disposer de nouvelles liquidités pour « opérer une transformation du système », ce leitmotiv qui s’était imposé après le dépôt du rapport Romanow et pendant la période touchée par l’adoption de l’Accord sur la santé de 2004.
Depuis longtemps maintenant, la réforme du système de soins de santé public au Canada est une occasion manquée.
Le rôle actuel du gouvernement fédéral dans les soins de santé est décevant, quoique compréhensible. Une décennie d’augmentation des transferts en matière de santé à raison de six pour cent par année n’a pas mené au changement transformateur promis. Un rôle plus actif du gouvernement fédéral consistant à tenter de stimuler le changement en attachant tout nouveau financement à l’application de normes nationales en matière de santé serait inévitablement accueilli avec protestation par les provinces, qui crieraient au fédéralisme autoritaire et à l’ingérence du gouvernement fédéral. Tout ce qui restera donc n’est que la réduction de la croissance des transferts de fonds fédéraux, moyen un peu brutal d’inciter les provinces à économiser.
Ainsi, en matière de soins de santé, le gouvernement fédéral du Canada ne jouera plus dans l’avenir qu’un rôle d’observateur qui se gardera d’intervenir directement dans les affaires des provinces.
Livio Di Matteo est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et professeur d’économie à l’Université Lakehead.
avril 2014