Droguer les aînés n’est pas une solution au manque de financement

Par Nicole F. Bernier

Ottawa doit prendre l’initiative d’améliorer la qualité des soins dans les maisons de soins infirmiers

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Le Soleil

Droguer les aînés n’est pas une solution au manque de financementArrivées au crépuscule de leur vie, les personnes âgées hébergées en maison de soins infirmiers sont généralement dans un état de grande fragilité. Elles y sont admises pour des raisons variées, mais la plupart du temps, c’est pour y recevoir des soins personnels intensifs pendant une période indéterminée. Un grand nombre de résidents souffrent de maladies chroniques qui les empêchent de vivre de manière autonome. Leur sécurité et leur bien-être dépendent alors pour l’essentiel de leur prise en charge par les centres d’hébergement.

Il est paradoxal — certains diraient même tragique — que l’on administre aux résidents des maisons de soins des médicaments dont, trop souvent, ils n’ont pas besoin, et qui sont susceptibles d’être nocifs au point de les tuer.

Les preuves à cet égard s’accumulent : dans certains établissements, on aurait recours de plus en plus souvent aux antipsychotiques. Une enquête récente du Toronto Star a révélé qu’en Ontario, un grand nombre de centres réglementés par la province droguent régulièrement leurs patients dans le but de les calmer et de les maîtriser lorsqu’ils sont agités, ont tendance à errer ou se comportent de façon agressive. Selon le quotidien, 33 % des résidents seraient soumis à un traitement antipsychotique.

Même si l’Ontario se retrouve aujourd’hui sous les projecteurs, des nouvelles du même genre font périodiquement la une des journaux d’un bout à l’autre du pays. Récemment, un rapport publié par l’Institut canadien d’information sur la santé concluait que les personnes âgées hébergées en maison de soins infirmiers étaient neuf fois plus à risque de recevoir des antipsychotiques que celles qui vivent dans la collectivité. En 2012, 41 % des résidents au Canada auraient reçu au moins un médicament de ce type. 

Pendant combien de temps encore administrera-t-on aux aînés dans ces établissements des médicaments inutiles et potentiellement dangereux, alors que ce dont ils ont réellement besoin, ce sont des meilleurs soins de longue durée ?

Les avertissements sur les étiquettes des médicaments sont sans équivoque : les antipsychotiques sont nocifs pour les personnes atteintes de démence et peuvent même les tuer. Santé Canada n’a pas approuvé leur usage dans les cas de démence sénile; pourtant, bon nombre des aînés qui les reçoivent souffrent précisément de ce trouble. Par ailleurs, on administre parfois inutilement aux aînés des médicaments qui peuvent poser certains risques, notamment des anxiolytiques comme le lorazépam ou des antidépresseurs comme l’amitriptyline.

Faire en sorte qu’ils restent calmes et dociles ne fait pas partie de ce dont les résidents atteints de démence ont le plus besoin, mais cela pourrait bien répondre aux besoins des maisons de soins infirmiers. Dans plusieurs cas, tout porte à croire que les médicaments d’ordonnance sont un moyen peu coûteux pour les établissements de neutraliser les patients ayant ont des comportements indésirables.

Lorsqu’on dénonce ce genre de problème, les provinces réagissent en général. Leurs responsables établissent de nouvelles lignes directrices, promettent de mieux former médecins et intervenants et parfois même, s’engagent à publier des données sur l’administration des médicaments aux aînés dans les maisons de soins de longue durée. Malheureusement, cela n’est pas suffisant, comme le confirment d’ailleurs les chiffres sur le nombre élevé d’aînés qui continuent d’y recevoir des traitements inutiles. Pour véritablement changer les choses, il faudra prendre des mesures supplémentaires  et différentes.

Les recherches indiquent que l’intervention comportementale et une meilleure prise en charge de la démence pourraient sensiblement réduire la nécessité de recourir aux antipsychotiques. Les solutions de ce type requièrent des maisons de soins infirmiers mieux conçues, mieux équipées et mieux dotées en personnel qu’elles ne le sont aujourd’hui. Sommes-nous prêts à fournir de telles conditions ?

Le cœur du problème réside dans le financement largement insuffisant accordé aux établissements alors que la demande ne cesse de croître. Au cours des prochaines années, avec le vieillissement démographique, il faudrait consentir des investissements importants rien que pour maintenir le statu quo. Les politiciens et les décisionnaires devront faire preuve de détermination s’ils entendent améliorer les conditions actuelles. 

Mais qui saisira le flambeau ? Les provinces peuvent assurément améliorer leur bilan à ce chapitre. Néanmoins, la mise en place de certaines ressources nécessitera une participation authentique du gouvernement fédéral, qui devra notamment améliorer le financement et instaurer des normes nationales en matière de soins de longue durée. Une première étape essentielle exigerait qu’Ottawa prenne l’initiative afin de rehausser les soins de longue durée.

Une chose est sûre : le recours aux médicaments d’ordonnance n’est pas une solution adéquate pour contrer le problème du manque de personnel et de ressources avec lequel se débattent aujourd’hui les maisons de soins infirmiers. 

Nicole F. Bernier est directrice scientifique du programme « Les défis du vieillissement » à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle est également conseillère auprès du site EvidenceNetwork.ca.

Mai 2014

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