Digérer les faits
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Bon nombre d’organisations ont concocté des recommandations concernant le nombre de fruits et de légumes que nous devrions consommer quotidiennement. Parmi les exemples bien connus, on peut citer le Guide alimentaire canadien, qui recommande entre 7 et 10 portions, l’American Heart Association, qui en recommande de 8 à 10, et la Harvard School of Public Health, dont la recommandation se situe entre 5 et 13 portions. Bien que les recettes et recommandations varient quelque peu selon l’aliment, une portion équivaut approximativement à une demi tasse ou à 75 g.
Combien, donc, de portions de fruits et de légumes devons-nous consommer chaque jour ?
Pour compliquer ce jeu des chiffres, les médias ont récemment fait état de deux études distinctes qui en examinant l’impact de la consommation de fruits et de légumes sur la mortalité sont arrivées à des conclusions fort différentes. Selon la première, décrite dans le Journal of Epidemiology and Community Health, nous aurions besoin de plus de sept portions de fruits et de légumes par jour, et selon la seconde, publiée dans le British Medical Journal, cinq portions seraient suffisantes. Qu’en est il au juste ?
Tout d’abord, je crois qu’il importe d’expliquer comment les études nutritionnelles sont effectuées. Les recherches s’intéressant aux répercussions de la nutrition sur la mortalité, le cancer et les maladies cardiovasculaires sont presque toujours des études de cohorte. Ainsi, dans le cadre de telles études, des milliers de personnes sont invitées à remplir un questionnaire ou à participer à une entrevue concernant leur consommation alimentaire quotidienne, après quoi les chercheurs estiment le nombre de portions consommées chaque jour par catégorie d’aliments. Les mêmes personnes sont suivies pendant une période allant de cinq à vingt ans, à l’issue de laquelle sont comparées les différentes quantités de portions de certains aliments par rapport à la mortalité ou aux cas de cancers ou de maladies cardiovasculaires.
Comme vous vous en doutez certainement, ce modèle d’étude peut conduire à des résultats peu concluants, parce qu’il est peu probable que les sujets soient capables de se souvenir avec exactitude de ce qu’ils ont mangé et parce qu’ils répondent souvent aux questions de manière à donner la meilleure impression possible d’eux mêmes. Les études nutritionnelles peuvent en outre facilement être influencées par des facteurs de confusion — par exemple, les personnes qui mangent plus de fruits et de légumes peuvent aussi faire plus d’exercice ou fumer moins. Bien que les chercheurs veillent à prendre en compte tous ces facteurs, il n’est pas possible d’éliminer complètement le problème qu’ils posent.
Cela dit, posons l’hypothèse que les deux études nutritionnelles dont ont parlé les médias récemment reflètent une véritable relation de cause à effet entre le nombre de portions de fruits et légumes et la mortalité. Que révèlent elles exactement ?
Heureusement, les deux études fournissent suffisamment de chiffres pour qu’il soit possible de tracer pour chacune une courbe des portions par rapport à la mortalité dans un seul graphique. Le résultat est intéressant. Même si les médias rapportent des conclusions divergentes, les courbes obtenues pour les deux études se superposent étonnamment bien lorsqu’on les trace dans un même graphique — on pourrait dire qu’elles se ressemblent un peu comme des bleuets et des myrtilles. En d’autres mots, la seule vraie différence entre les résultats des deux études semble tenir à la façon dont les chercheurs et les médias ont choisi de les rapporter.
Les graphiques obtenus pour les deux études montrent clairement que la mortalité chute de façon régulière entre zéro portion de fruits et légumes et cinq portions par jour, écart donnant lieu à une baisse relative de la mortalité d’environ 25 à 30 %. Au delà de ce nombre de portions, les courbes obtenues pour les deux études sont planes comme la surface d’une crêpe, ce qui veut dire qu’il n’y a aucune réduction pertinente supplémentaire de la mortalité lorsque le nombre des portions de fruits et de légumes augmente davantage.
Fait important, les données montrent aussi clairement qu’on obtient un avantage même si le nombre de portions consommées par jour est inférieur à cinq. Une portion par jour offre un avantage relatif par rapport à la mortalité d’environ 10 %, deux portions, un avantage de 15 %, trois, un avantage de 20 %, et quatre, un avantage de 25 %, puis après cinq portions il n’y a plus d’avantage notable.
Ces résultats sont par ailleurs corroborés par une étude antérieure réalisée en 2013 aux Pays-Bas et dont les résultats sont essentiellement les mêmes. On dispose de données similaires pour les maladies cardiovasculaires, et il est très peu probable qu’une nouvelle étude puisse modifier substantiellement ce tableau.
Combien de portions faut-il manger chaque jour? Pour ma part, je fonderais ma décision sur les données probantes, sur mon amour des fruits et des légumes et, surtout, sur le bien être que me procure ou non le fait de manger des fruits et des légumes. Autrement dit, je fonderais ma décision sur le bon sens.
James McCormack est un expert-conseil à EvidenceNetwork.ca. Il est également professeur à la faculté des sciences pharmaceutiques de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Avec Mike Allan, il anime un balado hebdomadaire — Best Science Medicine Podcast — qui est régulièrement classé parmi les meilleures émissions médicales en baladodiffusion sur iTunes; cette émission est aussi disponible au http://therapeuticseducation.org/.
août 2014