Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Le décès du comédien Robin Williams survenu le mois dernier a déclenché à l’échelle mondiale une discussion sur le suicide, ses causes sous-jacentes et sa prévention.
Les débats seront donc nombreux le 10 septembre, à l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide, puisque les gens souhaitent comprendre la nature de ce problème touchant la santé.
Dans le cadre de mon travail comme professeur en psychiatrie, je fais de la recherche sur le sujet depuis 10 ans et j’estime que la collectivité peut intervenir pour contrer ce fléau. Dans cette perspective, il serait utile de réfléchir sur les connaissances que les chercheurs ont acquises au cours des années en matière de stratégies de prévention du suicide.
D’abord, il importe de comprendre le fait que le suicide, tout comme d’autres problèmes de santé tels le cancer ou les maladies du cœur, est une affaire complexe. Il n’est pas causé par un seul facteur. Les gens qui tentent de se suicider ou qui en meurent ont souvent vécu des expériences douloureuses pendant l’enfance, des dépressions, de l’anxiété, des problèmes de toxicomanie, la perte de soutien social, des difficultés financières, des problèmes de santé, des troubles d’impulsivité/d’agressivité. Le travail que nous avons fait au sein des communautés des Premières Nations a également démontré que la perte de culture, les traumatismes liés aux pensionnats et le racisme augmentent le risque de comportements suicidaires.
Toutefois, la plupart des gens qui ont vécu plusieurs de ces problématiques ne tentent pas de se suicider ou ne meurent pas par suicide. Pourquoi une personne tente de se suicider alors qu’une autre qui est aux prises avec les mêmes facteurs de stress ne pose pas ce geste ? La question demeure sans réponse.
En général, la plupart des programmes de prévention du suicide adoptent une approche de santé publique globale, l’intention étant de cibler l’ensemble de la population.
Par exemple, la Journée mondiale de prévention du suicide a pour principal objectif de sensibiliser les gens à la question du suicide et à l’importance d’obtenir des soins adéquats pour réduire les comportements suicidaires. D’autres initiatives communautaires misent sur des programmes de parentalité responsable et des programmes de sensibilisation dans les écoles, comme le jeu des bons comportements selon lequel des équipes d’écoliers rivalisent pour obtenir des points octroyés en fonction de leurs comportements en classe.
Il a été démontré que la réduction de l’accès à des moyens pouvant donner la mort, comme les armes à feu, les pesticides, le monoxyde de carbone et de grandes quantités de médicaments, a réduit le taux de suicide. Il y a quinze ans, le Royaume-Uni a légiféré pour limiter à 28 le nombre de comprimés d’acétaminophène contenu dans une bouteille. Depuis, le taux de décès causés par une surdose d’acétaminophène au R.-U. a diminué, sans pour autant que le taux de suicide par d’autres moyens n’ait augmenté. Au Manitoba, des chercheurs évaluent si une telle mesure réduirait le risque de suicide et de décès par surdose involontaire dans la province.
Il existe assurément un lien entre des expériences néfastes vécues dans l’enfance (agressions sexuelles et physiques) et les comportements suicidaires. Les programmes de parentalité responsable et les interventions culturellement adaptées visant à améliorer les liens entre parents et enfants ont donc leur place.
Les familles endeuillées par le suicide sont souvent aux prises avec des sentiments de culpabilité, d’anxiété et de dépression. Dans le cas des familles dont l’un des membres a des comportements suicidaires, des interventions s’avèrent nécessaires.
J’ai toujours été étonné de voir que les infirmières en santé publique visitent les nouvelles mamans à leur domicile pour s’assurer qu’elles et leur bébé se portent bien. Par ailleurs, lorsqu’une famille est frappée par le suicide, aucun soutien ne lui est proposé pour l’accompagner à la suite du drame. Nous envisageons donc la possibilité de créer un projet pilote pour évaluer la pertinence d’un programme d’approche.
Un individu atteint d’un trouble physique ou mental risque davantage de se suicider pendant les premiers six mois de la maladie. Il a été démontré qu’une amélioration de l’accès à des services de crise et à des traitements fondés sur des données probantes pour contrer la dépression, l’anxiété, la psychose et les troubles de consommation de substances a un effet sur la diminution des taux de suicide. Des données probantes fiables démontrent aussi que l’amélioration de la formation donnée aux médecins de premier recours portant sur l’évaluation et le traitement de la dépression réduit le nombre de suicides. Les équipes spécialisées en santé mentale qui se concentrent sur les problèmes de santé mentale et les dépendances jouent un rôle très important dans la prévention du suicide.
Bref, nous acquérons de plus en plus de connaissances dans le domaine de la prévention du suicide. Il nous faut maintenant procéder à une évaluation des nouveaux programmes prometteurs.
Le Dr Jitender Sareen est conseiller expert associé au réseau EvidenceNetwork.ca, professeur en psychiatrie à l’Université du Manitoba et chef d’équipe pour le Manitoba Population Mental Health Research Group [groupe de recherche du Manitoba en matière de santé mentale].
Visionnez deux affiches, 1 et 2 basées sur l’article
août 2014