Une version de ce commentaire est parue dans le Huffington Post Québec
Lorsque les médecins conseillent les patients sur leur santé, ils se concentrent souvent sur les changements de mode de vie comme l’alimentation, l’exercice ou le tabagisme. Des tels conseils peuvent être importants pour la personne, mais font peu pour changer les facteurs sous-jacents à la santé comme le revenu, l’éducation et l’emploi. Or, ce sont ces facteurs qui ont le plus d’incidence sur la capacité des patients à bien se nourrir, à faire de l’exercice et à cesser de fumer.
Pour franchir la prochaine étape et mieux intégrer les déterminants fondamentaux de la santé dans les décisions politiques, il faut la participation des gouvernements et il faut bien comprendre que la santé et le bien-être vont au-delà des soins de santé.
Dans des pays comme la Finlande, depuis un certain temps, l’idée d’inscrire la santé dans toutes les politiques influence la politique publique. Les déterminants sociaux influencent maintenant tous les secteurs de l’éducation à la finance, en passant par le logement, le transport et l’assistance sociale. Dans les années 1970, le gouvernement finlandais a lancé l’un des premiers projets d’intégration de la santé dans toutes les politiques de l’Europe et a ciblé l’une des régions ayant d’importants problèmes de santé. Au lieu de réprimander la communauté et de lui conseiller « de manger moins et de bouger plus », les décideurs ont convaincu les producteurs locaux de beurre, de crème, de pain et de viande de réduire les matières grasses et le sel contenu dans leurs aliments, tout en introduisant la culture de graines oléagineuses et la production de petits fruits comme une solution de rechange (saine) pour gagner leur vie. Combinée à l’amélioration des menus dans les écoles et les lieux de travail et de rigoureuses lois contre le tabagisme, l’intégration de la composante santé dans les politiques agricoles, économiques et éducatives a contribué à réduire de 73 % les maladies cardiovasculaires chez les personnes âgées de 18 à 65 ans.
Au Canada, le Québec figure en proue en ce qui concerne l’intégration d’une composante santé dans l’élaboration de politiques. En 2002, la province a adopté sa nouvelle Loi sur la santé publique, une législation qui impose aux ministères et aux organismes provinciaux de veiller à ce que les nouveaux projets de loi et règlements ne portent pas atteinte à la santé des Québécois. L’utilisation systématique d’études d’impact sur la santé en est le résultat et commence à toucher d’autres paliers de gouvernement. Par exemple, le maire d’Acton Vale, une petite ville à l’extérieur de Montréal, a commandé une étude d’impact sur la santé pour un projet de développement résidentiel proposé aux abords d’un sentier de motoneige, d’une autoroute et d’une école. Les résultats ont permis de dégager une orientation concrète sur la manière de prévenir les accidents par la conception de rues sécuritaires, la réduction de nuisances sonores, la stimulation du transport actif et la conservation d’espaces verts. À l’extérieur du Québec, malgré l’approbation de la communauté des soins de santé et des politiques publiques, la notion d’intégration de la santé dans toutes les politiques n’a pas trouvé la volonté politique nécessaire pour opérer un changement significatif. Toutefois, depuis l’année dernière, on voit quelques lueurs d’espoir; tous les paliers gouvernementaux commencent à comprendre l’impact d’une telle intégration.
Récemment, Stephen Kent, ministre de la Santé de Terre-Neuve et vice-premier ministre, a compris l’impact de l’inclusion de la santé au sein des politiques. Avant sa nomination, monsieur Kent était l’un des trois candidats en lice pour la direction du Parti progressiste-conservateur de la province. Dans sa plate-forme de soins de santé, se trouvait un engagement à faire de la santé une priorité dans l’ensemble du gouvernement. Stephen Ken proposait au ministère des Ressources naturelles de Terre-Neuve-et-Labrador, à la société d’habitation, aux services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille et aux municipalités, de collaborer afin de « créer un meilleur environnement pour des personnes en santé ». Aujourd’hui, en tant que ministre de la Santé, il a toute la latitude pour mettre ces plans en action.
Au cœur d’une région majoritairement conservatrice, le nouveau maire d’Edmonton, Don Iveson, propose une approche similaire à l’échelle municipale. Il a récemment organisé un colloque sur la pauvreté en mettant l’accent sur les déterminants sociaux de la santé. Bien que la prestation des soins de santé soit habituellement du ressort provincial, le colloque du maire a permis de cerner un certain nombre de champs d’action à l’échelle municipale. On a relevé des lacunes « traditionnelles » au chapitre de l’assurance maladie (médicaments, soins dentaires et vue), mais aussi des lacunes en amont dans le cas des manuels scolaires, du logement abordable dans une ville connaissant une hausse des loyers et dans l’accessibilité aux programmes communautaires de sports.
À l’échelle fédérale, l’ancienne porte-parole libérale responsable la Santé, Dre Carolyn Bennett, se porte à la défense de l’intégration de la santé dans l’administration de la politique. Les néo-démocrates et leur critique en santé, Libby Davies, ont mis en place la première politique nationale de santé avec un accent spécifique sur les déterminants sociaux de la santé, notamment l’inégalité des revenus, le logement et la sécurité alimentaire. Bien qu’ils ne vont pas plus loin que les recommandations de l’Association médicale canadienne présentées dans le rapport Les soins de santé au Canada : Qu’est-ce qui nous rend malade qui exigent du gouvernement fédéral d’inclure une étude d’impact sur la santé dans le processus décisionnel du Cabinet, ils souscrivent à l’idée que le gouvernement fédéral doit inclure les impacts sur la santé dans toutes les décisions.
Les Canadiens comprennent que la santé va bien au-delà des hôpitaux, des médecins, du régime alimentaire et de l’exercice physique. L’approche visant à intégrer la santé dans toutes les politiques publiques permet aux dirigeants de transformer cette compréhension en action réfléchie.
Danyaal Raza est médecin de famille à Toronto. @danyaalraza Ryan Meili est médecin de famille à Saskatoon, conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et auteur de A Healthy Society: how a focus on health can revive democracy. @ryanmeili
October 2014