La plupart des Canadiens n’ont pas accès à des soins palliatifs complets
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Cette semaine, la Cour suprême du Canada a entendu un appel de l’Association pour les libertés civiles de la Colombie-Britannique qui pourrait accorder aux malades canadiens en phase terminale le droit au suicide assisté. Ce jugement, combiné à l’adoption au Québec du projet de loi 52 (loi sur l’aide médicale à mourir) et de rumeurs du dépôt d’un projet de loi sur le suicide assisté, place le Canada à la croisée des chemins.
La tâche que devra accomplir la Cour est colossale. Les arguments qui lui seront soumise en audience seront complexes et diversifiées. De plus, notre peur collective de la mort teintera les arguments d’intenses émotions. Certains tenteront de rassurer la Cour en soutenant que de nombreux Canadiens appuient le principe d’une aide médicale à mourir, alors que d’autres feront valoir que le soutien populaire ne peut constituer un critère véritablement fiable pour orienter une réforme juste et constructive d’une politique sociale. Quoi qu’il en soit, la première question que devra se poser la Cour à savoir si sa décision améliorera ou non les soins offerts aux malades en phase terminale.
Au Canada, la mort peut être un processus épeurant. Selon un rapport parlementaire réalisé en 2000, la plupart des Canadiens n’ont pas d’accès à des soins palliatifs complets. Une majorité mourra dans un milieu de soins tertiaires en raison d’un manque de ressources communautaires adéquates pour offrir aux malades la possibilité de mourir à domicile. De plus, il n’existe aucune règlementation nationale concernant le contrôle de la douleur, le soulagement des symptômes, les soins psychologiques et le soutien spirituel. Par ailleurs, il est improbable que les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits reçoivent des soins de fin de vie adaptés à leur culture. De plus, un grand nombre des patients en milieu rural n’ont pas accès ou ont un accès limité à des soins palliatifs complets.
La Cour devra également décider à qui sera confié le pouvoir d’aider une personne à mettre fin à ses jours. Lorsque leur est remis leur permis d’exercer, de nombreux médecins canadiens ont en général reçu moins de formation en gestion de la douleur que leurs homologues en médecine vétérinaire. La plupart ont des connaissances insuffisantes pour être en mesure de bien gérer la douleur associée au cancer et sont mal outillés pour aborder la question de la fin de la vie avec leurs patients. D’autres études laissent entendre que les médecins qui ne traitent pas souvent des patients en phase terminale et qui connaissent moins bien la gestion des symptômes sont plus susceptibles d’être en faveur du suicide assisté. Les médecins qui ont plus d’expérience dans le traitement de patients en fin de vie ont davantage tendance à s’y opposer.
L’argument de l’autonomie peut être risqué dans le cadre d’une modification législative. Dans certaines régions où il existe des dispositions législatives concernant l’aide médiale à mourir, des euthanasies ou des suicides assistés ont été pratiqués sur des nourrissons et des enfants, des malades souffrant de démence ou de maladies chroniques, des personnes incapables d’exprimer un consentement explicite ou atteintes de maladie mentale et, plus récemment, un détenu qui a préféré la mort à l’incarcération. Une loi plus permissive aura également pour effet d’accroître le sentiment de vulnérabilité des personnes handicapées et des personnes que la société perçoit comme improductives ou qui se sentent comme un fardeau. En outre, plus l’argument de l’autonomie sera considéré comme admis, plus le suicide assisté sera perçu comme un droit. Aux Pays-Bas et en Belgique, des groupes ont réclamé l’accès à des mesures d’accélération de la mort pour les personnes de plus de 70 ans qui se disent « fatiguées de vivre ».
La conception et la présentation des études portant sur les impacts du suicide assisté peuvent parfois être trompeuses ou faussement rassurantes. Prenons pour exemple les études qui laissent entendre que les familles des patients qui choisissent l’euthanasie ou le suicide assisté n’éprouvent pas de conséquences psychologiques. Actuellement, il n’existe dans les faits aucune étude portant sur le deuil vécu par les membres des familles qui n’ont pas été informées de la décision d’un proche de mettre fin à ses jours. En Oregon, 10 % des patients ont refusé que leur famille soit consultée et dans 6 % des cas, les médecins ne pouvaient dire si la famille avait été mise au courant de la demande de suicide assisté de leur patient. Au Québec, le projet de loi 52 précise que les patients peuvent refuser de consulter leur famille.
La Cour pourrait également se demander si les soins palliatifs peuvent inclure le suicide assisté. Offrir des soins palliatifs exige une surveillance attentive des patients ainsi que des interventions adaptées aux besoins de chacun afin de calmer la douleur et d’apaiser la détresse psychologique et spirituelle. Les soins palliatifs sont une forme de compassion qui prend du temps. Ainsi, à moins de demander aux patients mourants de quitter leur milieu de vie où les ressources nécessaires ne sont pas disponibles, la plupart des Canadiens devront se débrouiller comme ils peuvent, ou, si la loi est modifiée, ceux-ci auront la maigre consolation de savoir qu’ils ont accès au suicide assisté.
Les soins palliatifs ne peuvent éliminer toutes les facettes de la souffrance éprouvée en fin de vie. Préserver la dignité des patients mourants exige une volonté inébranlable de ne pas abandonner, une gestion minutieuse des souffrances des patients et une énorme quantité de soins empreints de compassion et de gentillesse. En parlant d’une telle approche visant à protéger la dignité des patients, l’ancien dirigeant de la Hemlock Society a admis que [traduction] « si la plupart des malades en phase terminale recevaient de tels soins, le désir de mettre fin à leur jour serait beaucoup moins fort ».
La Cour suprême du Canada a ainsi beaucoup à soupeser avant de rendre sa décision, qui est attendu avec impatience à travers le pays.
Harvey Max Chochinov est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en soins palliatifs et directeur de l’Unité de recherche en soins palliatifs du Département de psychiatrie de l’Université du Manitoba.
Balfour M. Mount est professeur émérite de la chaire Eric M. Flanders en médecine palliative de l’Université McGill.
21 octobre 2015